Éloge de Vergniaud : discours de rentrée prononcé à l'ouverture des conférences de l'ordre des avocats de Bordeaux, le 4 janvier 1875
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dévouement qui ne s'était jamais démenti, et qui, à l'heure où toute distinction s'efface, devenait presque celui d’un ami. Vergniaud le chargea du seul legs qu'il lui fût permis de réaliser : il lui donna sa montre, après y avoir tracé, avec une aiguille, la date de ce jour funèbre, son nom et celui d’une jeune fille au sort de laquelle, en des temps plus heureux, il avait espéré pouvoir unir sa destinée (1).
Était-ce, Messieurs, cet inconscient, mais indomptable amour de la vie, qui résiste chez les jeunes âmes, et même les plus héroïques, aux plus décevantes épreuves, qui, en ce moment solennel, au sortir de la prison et à deux pas de l’échafaud, ramenait la pensée de Vergniaud aux songes dorés de son enfance, et lui faisait jeter un long et dou. loureux regard de regret sur cet avenir qu'il s'était promis, et qu'il voyait lui échapper ?
Se laissait-il involontairement aller à l’irréalisable rêve de ressaisir la vie, pour parler avec le poète :
(Au manteau virginal d’une enfant de seize ans? (2) »
Sentait-il, dans la meilleure partie de lui-mêne, des trésors de tendresse inemployés et perdus ? Et était-il tenté de dire, en mettant la main sur son cœur, comme Chénier sur son front : « Et pourtant il y avait là quelque chose ? »
O suprême et mystérieux besoin de pureté qui envahit les âmes au moment où elles vont briser leur mortelle enveloppe ! Ce grand Vergniaud qui avait connu, savouré, épuisé toutes les émotions et tous les plaisirs, qui avait éprouvé l'ivresse de la passion et celle de la gloire; cet
(1) Cette jeune fille était Mie Adèle Sauvan, morte en 1810, Mme Legouvé. Elle laissa, par testament, la montre de Vergniaud au littérateur Jouy, des mains de qui elle passa entre celles de Charles Nodier, Cette montre se trouve actuellement au Musée de Besancon.
2) Alfred de Musset, Rolla.