Битеф
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TRAGICOMEDIE -TRAGEDIE DE NOTRE EPOQUE
Depuis Aristote, en passant par Hegel, jusqu'aux théoriciens postmodernes, l'interprétation de la notion du tragique dans le théâtre a bien changé. Bien que la tragédie soit une des notions théâtrologiques les plus anciennes et que, d'une certaine manière, cette notion s'explique parsoi-même, définir le tragique dans le monde et notamment dans le théâtre contemporain, est loin d’être une tâche facile. De nos jours, le monde abonde en potentiels tragiques, mais il serait très intéressant de savoir comment le théâtre y réagit aujourd'hui. Il est évident que la portée du théâtre a ses limites et que la scène, autrefois lieu de la catharsis, a été remplacée depuis longtemps par la télévision avec ses émissions politiques et ses « reality shows ». Il est tout aussi évident que la vie politique moyenne d'un pays contient aujourd'hui plus d'éléments relevant de la tragédie traditionnelle (pathos, catharsis, faute tragique et ainsi de suite) que le théâtre contemporain. Néanmoins, le théâtre a survécu à la bataille contre les médias modernes et s'est trouvé une place qui peut-être ne peut influer considérablement l'ordre social, mais peut, à n'en pas douter, le provoquer, l'interroger, le critiquer. Et c'est bien ce que le théâtre fait depuis plusieurs milliers d'années, de façon plus ou moins manifeste et révolutionnaire. Cette édition du Bitef s'est centrée sur le phénomène de la manipulation de la notion du tragique dans la société moderne. Après avoir vu un grand nombre de représentations, ce festival en est arrivé à une constatation qui, peu à peu, est devenue le slogan de cette année et qui, en fait, affirme que la tragédie du monde actuel, considérée dans l'optique théâtrale, tourne presque toujours à la tragicomédie. L'une des définitions de la tragédie est la suivante : « La possibilité même du tragique est liée à l'ordre social, puisque celui-ci suppose des valeurs constantes auxquelles le héros se soumet de son plein gré. En fin de comptes, l'ordre est toujours rétabli, qu'il soit divin, métaphysique ou humain. » La question d'un tel ordre, sur lequel se fonde la civilisation contemporaine, est en vérité le sujet qui aujourd'hui fait sourire les professionnels du théâtre et leur public et qui empêche l'homme moderne, trop cynique et tourné vers soi-même, de se retrouver au coeur d'une tragédie du genre antique ou shakespearien. C'est ainsi que la sélection de cette année rassemble les noms les plus marquants et les plus réputés de la scène théâtrale internationale, qui ont tous, chacun à sa manière, traité des phénomènes contemporains, jonglant comme des funambules entre la perception tragique et celle tragicomique du monde qui les entoure. Parmi eux, des artistes tels Marthaier, Goebbels et Gotscheff, déjà connus du public belgradois, mais aussi d'autres qui, bien que présents depuis longtemps sur la scène théâtrale internationale, arrivent pour la première fois à Belgrade. C'est notamment le cas de la chorégraphe et danseuse américaine Meg Stuart, qui vit et travaille en Europe. Le titre du spectacle de Marthaier Lack of Space (Manque d'espace) n'est pas seulement une excellente métaphore de l'humanité actuelle, mais aussi, apparemment, le grand thème tragicomique du théâtre moderne.
Anja Susa et Jovan Cirilov