Correspondance de Thomas Lindet pendant la Constituante et la Législative (1789-1792)

352 CORRESPONDANCE DE THOMAS LINDET

liberté décoré du bonnet rouge. Je fus obligé d'ouvrir l'assemblée : personne ne voulant prendre la parole, je fus nommé avec le maire et le commandant pour planter l'arbre. La cérémonie devait se faire lundi : j'alléguai mon voyage de Conches, et elle fut anticipée à dimanche. Elle eut lieu après le sermon que je fis à la cathédrale. Je ne sais si c’est la pluie qui refroidit les imaginations ébroïciennes, ou si la glace naturelle au climat n’a pas encore fondu au feu de la Constitution. Lundi, grande fête à Conches. M. de Garambouville, commandant, a rendu toute la ville patriote, hors la municipalité. Je prêchai et célébrai le matin; le soir, l'arbre de la liberté fut planté, les drapeaux bénits, et je haranguai l'assemblée sur la place. Le caractère des Conchois est fortement prononcé : les haines y sont fortes et accentuées. Il m'a fallu trois heures de la discussion la plus vive, la plus animée pour ramener la municipalité au vœu de la garde nationale. M. Nouvel, maire, M. de Fougy, procureur de la commune, M. Echard, officier municipal, etc., ont soutenu l'assaut en combattant chacun à leur manière. J'ai emporté la place par la famine, par la constance des attaques; ils ont cédé par lassitude ; ils ont assisté à la cérémonie. J'ai sauvé l’honneur de leur délibération, par le moyen de deux ou trois épingles avec lesquelles j'ai retroussé les rubans tricolores sur le bonnet, pour diminuer l'éclat du fond rouge que ces messieurs n'aiment pas.

Heureusement, le drapeau n’avait pas été déployé, et le drapeau est chargé d’ornements surmontés du bonnet rouge. I1 fut déployé après la bénédiction. Ce fut la tête de Méduse. Les municipaux retrouvèrent à peine leurs jambes pour s’en retourner, les Conchois pour danser autour de l'arbre de la liberté. La femme d’un garde national s’est avisée de faire une fille ce jour-là, et j'en suis le parrain avec Mx° de Garambouville, femme fort