"La Guzla" de Prosper Mérimée : étude d'histoire romantique (са посветом аутора)

PROSPER MÉRIMÉE AVANT « LA GUZLA ».

205

Mérimée avait une bonne raison d’aimer la poésie populaire : il ne faisait pas de vers et, comme son ami Stendhal, n’aimait pas ceux que l’on faisait à son époque. A ses yeux, la poésie lyrique de l’homme moderne n’est qu’un vain et ridicule étalage de fausse sensiblerie, genre très inférieur aux chants naïfs et naturels de l’homme primitif. « Mérimée que vous paraissez admirer comme je le fais aussi, écrivait vers •1830 Eugène Delacroix à Paul de Musset, est simple, mais a un peu l’air de courir après la simplicité en haine de l’horrible emphase des grands hommes du jour*. » Trente ans plus tard, sénateur et courtisan, Mérimée gardera le même dédain pour ses contemporains qui «se grisent de leurs propres paroles 2 ». On nous permettra de citer à ce sujet deux passages caractéristiques, d’autant plus intéressants qu’ils n’ont jamais été recueillis dans les œuvres de l’écrivain. Nous détachons le premier d’un feuilleton du Moniteur universel (17 janvier 1856), dans lequel Mérimée présenta au public français les Ballades et chants populaires de la Roumanie, recueillis et traduits par Vasile Alecsandri 3 . J’aime les chants populaires de tous les pays et de tous les temps, disait-il, depuis l’lliade jusqu’à la romance de Malbrouk. 1 vrai dire, je ne conçois pas, et c’est peut-être une hérésie, je ne conçois guère de poésie que dans un état de demi-civilisation, ou même de barbarie, s’il faut trancher le mot. C’est dans cet heureux état seule-

1 H. Cordier, Stendhal et ses amis, Paris, 1890, p. 67. 2 lettres à une Inconnue, 27 septembre 1862. 3 Ce grand poète roumain était l’ami de Mérimée ; ils avaient fait de compagnie un voyage en Espagne. (Édouard Grenier, Souvenirs littéraires, Paris, 1893, p. 134.) Il se trouvait à Cannes pendant les derniers jours de Mérimée (1870) auquel il a consacré une notice : Vasile Alecsandri, Prosa, Bucarest, 1876, lIP partie, pp. 605-614. Mérimée a exercé sur Alecsandri une certaine influence. (Voir l’influence des romantiques français sur la poésie roumaine, par N. I. Apostolescu, Paris, 1908.)