"La Guzla" de Prosper Mérimée : étude d'histoire romantique (са посветом аутора)

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CHAPITRE iv.

confiance. Mérimée, c’est trop évident, se donne une altitude ; ce n’est qu’un jeu d’écrire la Guzla’, il le fait pour relever un défi. Combien est différent le ton du passage où, dans la préface de la seconde édition, il rapporte à peu près la même histoire : non seulement on ne le mit nullement au défi, mais c’est en rechignant autre affectation qu’il se vit infliger par son ami Ampère cet étrange métier de collectionner des ballades. Où est la vérité? Probablement ni dans l’une ni dans l’autre de ces déclarations. On sait assez que la sincérité n’est pas la qualité la plus éminente de Mérimée; il la considérait comme une faiblesse. Ainsi vaut-il mieux croire que s’il en vint à composer la Guzla ce fut tout simplement parce qu’il eut idée de faire par anticipation ce voyage qu’il se proposait de faire un jour effectivement. Plus tard, lorsqu’il n’eut plus la même admiration pour ces débordements de l’imagination, il sut dire tout naturellement, pour excuser une fantaisie de jeunesse : « Dans ce projet qui nous amusa quelque temps, Ampère, qui sait toutes les langues de l’Europe, m’avait chargé, je ne sais pourquoi, moi igjnorantissime, de recueillir les poésies originales des Illyriens. » Méfions-nous des renseignements que nous donne cet incorrigible mystificateur sur ses propres œuvres et demandons-nous si la date à laquelle il dit avoir eu ce dessein est bien la véritable. Il ne sera pas difficile d’en prouver l’inexactitude. En « cette même année 1827 », son « compagnon de voyage» était loin de France, en Allemagne et dans les pays du Nord, faisant des études sérieuses, visitant fils d’un père glorieux-—les sommités scientifiques de l’époque 1 . En effet, le 6 août 1826, sous prétexte d’un voyage au

1 A.-M. et J.-J. Ampère, Correspondance, tome ï,passim.