La Serbie
TE
IlIme Année. — No 13
RÉDACTION et ADMINISTRATION @, rue du XXXI Décembre - Genève Téléphone 14.065
Prix du Numéro : 10 Centimes
JOURNAL POLITIQUE
Paraissant touë les Samedis
Rédacteur en chef : Dr Lazare MARCOVITCH, professeur à
LES COUPABLES DÉMASQUES
Les révélations Lichnovsky-Mühlon, surgies | juste au moment de la grande offensive germa- | aujourd'hui, complètement démasqués, leurs
nique, sont venues bien à propos pour consa” crer le véritable caractère de la lutte décisive engagée sur le front occidental. Les soldats alliés qui sacrifient leurs vies pour contenir la poussée germanique et sauver Île monde d'un régime indigne de notre civilisation, ne se battent pas pour des chimères. Deux Allemands éminents, l’un anstocrate, l'autre industriel, affirment, preuves en mains, que cette guerre atroce a été voulue par l'Austro-Allemagne, qu'elle a été préparée et délibérément provoquée. Après ces témoignages irrécusables, il n’y a plus d’équivoque. Les coupables sont démasqués à tout jamais. Et si l'on voit l'Allemagne procéder aujourd'hui à des annexions ouvertes ou déguisées de vastes territoires étrangers, ce n’est que la réalisation du plan conçu en 1914 et mis en œuvre par l’embrasement du monde entier.
Les témoignages Lichnovsky-Mühlon ont une importance particulière pour la Serbie et le peuple serbe. Les accusations perfides lancées contre notre pays par une presse sans scrupules et une propagande effrénée partie de Vienne, Budapest et Berlin, se trouvent controuvées par l'affirmation catégorique du prince Lichnovsky que l'Autriche pratiquait une politique de strangulation envers la Serbie et que lui, ambassadeur d'un grand Empire, ne pouvait concevoir les raisons qui déterminaient son paÿs à prêter son appui à une telle politique. L'uitimatum autrichien, rédigé de concert avec les plus hautes sphères de Berlin, avait épouvanté cet Allemand honnête, et pour éviter la guerre mondiale, il tâchait d'obtenir de la Serbie une réponse conciliante. Sir Edward Grey et M. Sazonoff ont exercé une pression à Belgrade et l’ultimatum inouï de Vienne a reçu du gouvernement serbe une réponse à laquelle personne ne s'attendait. Toutes les demandes de l'ultimatum étaient acceptées, sauf les deux points sur lesquels, suivant l'assurance du comte Lichnovsky, une entente aurait pu facilement être obtenue. Mais les puissances germaniques poussaient à la guerre et ne voulaient pas causer. Tantôt ce fut Vienne, tantôt Berlin qui se mon. trait inflexible. Et derrière tout ce jeu apparaissait la figure menaçante du Kaiser, décidé à risquer l'aventure que son fils aimé, le Kronprinz, appelé «la plus grande sensation », l'attaque soudaine.
Nous avons exposé à cet endroit même et à maintes reprises que le crime de Sarajevo, lui même encore insuffisamment éclairci, a servi de prétexte pour couronner par une guerre ouverte, la politique de chicanes, de pression, de chantage et d'intimidation,. pratiquée. par,la Monarchie vis-à-vis du Piémont yougoslave.
Les révélations Lichnovsky-Mühlon ne nous rien de nouveau. Il
apportent, à nous Serbes, conscience
y a longtemps que la Serbie a pris du danger germanique et lorsque le gouvernement serbe, à midi, le 29 juillet 1914, décrêta la mobilisation, avant que la réponse serbe, qui ne fut remise qu’à 6 heures du soir, le même jour, fût connue de Vienne, il le fit avec la conscience nette que l'Autriche et l'Allemagne voulaient la guerre, et que la réponse serbe, si docile qu’elle fût, n’y aurait rien changé. Mais pour ceux qui ne regardent pas les choses de près et qui pensent toujours que Ja petite Serbie a été la cause de la guerre européenne, les révelations Lichnovsky-Mühlon seront un enseignement utile. La Serbie est complètement déchargée du reproche que lui ont adressé parfois des amis mêmes, victimes inconscientes de la propagande austro-magyaro-allemände.
: = : ; C'est ainsi que les Germains apparaissent
propres fils leur ayant donné le soufflet qu'ils méritaient. Fe
Pour notre pays ravagé, violé et souillé par des calomnies insidieuses, c'est vraiment une
belle satisfaction. L. M.
La partie suprême
Depuis la fameuse bataille des nations livrée
en 1813 sous les murs de Leipzig jusqu’à nos jours aucun champ de balaille n’a offert un aspect plus impressionnant. Le combat qui se déroule en se moment sur la Somme et en Picardie c’est la lutte suprême entire deux adversaires dont les qualités morales sont loin d’être égales. Les demi-civilisés aux instincts primitifs et cruels y combattent contre la partie consciente et libre de l'humanité! C’est la Kultur luttant contre la civilisation dont elle s’appropria les ressources el les moyens techniques, les bienfaits et les avantages matériels. A voir les Allemands dans l’état de psychose et d’exallation chauvine où ils se trouvent jeter sans discontinuer dans la fournaise des divisions et des armées entières, on songe involontairement au culte ancien des Cartaginois, sacrifiant leurs enfants dans les brasiers de Moloch. Les mêmes sacrifices sanglants sont exigés des hommes après tant de siècles d'histoire. Preuve que la civilisationchrétienne n’a paschangé grand’ chose dans la partie du monde qu’on appelle Europe centrale. Attila reste toujours l'idéal des peuples germano-louraniens el ce n’est pas un pur hasard qu’un fils du kaiser-Eitel reçut lors de son baptême le nom du chef des Huns ! _ En face d’Attila moderne et de ses armées se sont dressés les peuples civilisés, les héros de la liberté et les défenseurs du droit. — La lutte vient d'entrer dans sa dernière phase. Îl est vrai que les premiers combats on! été favorables aux Allemands, les Anglais ayant été obligés de céder quelque terrain. Mais Wellington lui-même ne recula-t-il pas avant de gagner la bataille de Waterloo ? |
Douter du succès final de la lutte c’est douter de l'humanité et de la civilisation. C’est l'heure décisive qui commence. Il n’est pas permis aux hommes libres el conscients de manquer de foi dans ces moments là. Les Serbes sont les derniers à qui cela puisse arriver. Ce ne sont pas ces apparences de succès que les Allemands annoncent à grands fracas qui pourraient ébranler leur foi dans la victoire. Le quart d'heure annoncé par Clémenceau est arrivé. Il s'agit de tenir. « À vaincre sans péril on triomphe’ sans
gloire ».
La mégalomanie bulgare
Nous n'élions point surpris d'apprendre par une annonce parue dans le « Journal de Genève » (le 10 mars 1918) que la légation bulgare à Berne s'appelle maintenant € L’Ambassade ». Nous n’ignorons pas que les Bulgares n'ont jamais peur du ridicule. En parvenus qu'ils sont, où qu'ils se trouvent, ils restent toujours vanileux et mégalomanes.
La Bulgarte, laquelle, il y a seulement dix ans, n'était qu'une principauté vassale de la Turquie, s'appelle à présent « Empire » et le roi Ferdinand le (Tzar» ! Bien entendu, ce litre n'est pris au sérieux nulle part à l'étranger, mais dans les Balkans il doit produire quelque effet. C'est pour épater le bourgeois et éblouir la population illettrée en Bulgarie, qu'on a pris ces titres là.
C’est à Berne que l'on sera le plus étonné d'apprendre qu’à Genève la légation bulgare de Berne s'appelle & Ambassade ». Les Bulgares croient qu'on peut « bourrer les crânes en le font ailleurs, sans courir le risque d'être attrapés. Or, en Suisse, on connaît mieux le droit international qu’en Bulgarie et on sait très bien quelles sont les pulssances droit d'avoir des Ambassades. Pourtant, il ne faut pas trop en vouloir aux Bulgares, qui, nous l'avons déjà dit, semblent avoir un droit des gens spécial, qui leur est propre. C’est celui des Iroquois, qui tuent les blessés et mangent leurs prisonniers. Îl est vrai que les Bulgares ne mangent pas leurs prisonniers, mais ik les scalpent, d’après le témoignage d'un publiciste neutre. (Voir l'article de M. G. Olramare,
dans « La Serbie », N0 49, du 9 décembre 1917). Don MIGUEL.
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Genève, Samedi 30 Mars 1918
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Les Magyars falsifient l'idéologie de Kossuth
Herr Hofrat, auirichien et magnat magyar, le Dr Visontai, ur ancien adepte du parti de Kossuth, a essayé, dans le € Pester Lloyd », du 8 mars, à propos de la discussion
_Ængrassy-Reinach, de fausser l'idéologie politique de son “mettre, prétendant grie Lajos Kossuth aurait conseillé, pendant toute sa vie, l'alliance de la Hongrie avec l'Allemagne. On peut vraiment plaindre le: public hongrois, auquel on sert de ttlles turpitudes. Voici ce que Kossuth pensait de la politique de son pays :
. © Au temps où Le Directoire hongrois (que Kossuth avait formé pour l'indépendance) se sépara par la retraite de Klapka (mai 1862), parut un certain plan de confédération danuBienne, dont la publication, sans les commentaires nécessaires, ft beaucoup de bruit. j'avais d'abord l'intention de m'en occuper dans ce volume. Mais en voyant les circonstances actuelles, je crois préférable de raconter simplement ce que j'en sais.
«Le ministre italien Durando dit à mon ami lranyi (août 1862) « que nous devrions nous entendre pour une confédération avec la Serbie ». La clef de la situation avait éié portée à Belgrade par l’empereur Napoléon III. Le cabinet italien attachait beaucoup d'importance à ce qu'à côté de l'activité officielle, il y eût agitation officieuse. Il avait envoyé Cassini, rédacteur du Tribuno, en mission à Belgrade, Bucarest et Jassy. En mai, venant des obsèques de ma fille, j'étais en route pour la Suisse, afin de consoler ma pauvre femme; je m'arrélai à Turin el causai quelques jours avec Cassini.
: «C’est ma vieille conviction que la Hongrie, pour assurer sa libre individualité contre l'expansion de la puissance russe el du panslavisme, doit prendre des sûretés. Nous sommes entourés de puissances slaves. On ne peut changer la géogra-
phie. Mais cela n'est dangereux que si c'est un cercle panslaviste et non pas un cercle serbe, bulgare, bosniaque, herzégovinien, monténégria. Qui veut étre libre, ne peut vouloir être russe. Qu'importe que la Serbte, avec ses 1.700.000 habitants, s'asrandiege da la Bosnie, de l'Herzégovine-et devienne un Etat de 3 mitiüons d'habitants, qui aura conscience de son existence. Ce n’est pas un danger pour la Hongrie libre.
« Si La question d'Orient se résout par des moyens modernes par la liberté des nationalités, je me prélerais fort bien à ce qu'entre la Hongrie rendue à la liberté et les peuples voisins, slaves et valaques aussi affranchis, une alliance de protection s’établisse contre l'ennemi. :
« Mais je veux cette alliance comme une garantie de notre indépendance et le seul moyen pratique d'empêcher que le cercle des peuples slaves autour de nous ne devienne un cercle panslaviste.
« Voilà le thème de mes conversations avec Cassini, qui me dit qu’il les écrirait ; il me montra son résumé el me pria de le signer. Mais c'était par trop résumé. Cassini me promit en tout cas de ne'pas le publier. Ce n'est pas lui qui a manqué de parole. J'en avais une eopie que j'envoyai à mon ami Helfy pour le consulter. Il le publia dans son journal L’Alleanza, No 16, 1862.
«Mais puisque et tant que la Hongrie n'est pas libre, l’idée d'une confédération doit être reléguée comme tant d’autres parmi les prodesideria ». (Souvenirs de Kossuth, Edition française, tome LII, page 706).
Voilà comment les Magyars d'aujourd'hui cherchent à travestir l'œuvre du seul Hongrois qui ait eu quelque compréhension de la liberté de tous les peuples.
Par
La confédération des Etats-Unis d'Orient
Dans notre dernier numéro nous avons barlé de l'article de M. Reinach où äl était question d’une confédération d'Etats lanubiens.
XI, Reinachs qui s'inaghiait avoir-repris le projet de Kossuth, avait en réalité repris celui de Talleyrand en le modifiant; afin de le concilier avec le principe de la libre autodisposition des peuples proclamé par les Alliés. En effet, une confédération danubienne avec l'Autriche en tête, telle fut bien l’idée de Tallerand. Nous avons démontré que Kossuth, lui, dans son projet, excluait déja l'Autriche de cette confédération. Et pour cause.
M. Reinach lui-même a dû s’apercevoir que la combinaison comprenant l'Autriche .prête À la critique. C’est pourquoi il fait des réserves en s’efforçant détablir une distinction entre l'Autriche d'hier et celle de demain.
M. Reinach reconnaît donc qu'il y à deux Autriche, celle d’hier, dont la survivance n'est voulue que par ceux les Allemands danubiens et des Magyars qui ne comprennent la liberté que pour euxmêmes. C’est l'Autriche bismarckienne. Mais ne peut-il y avoir une autre Autriche? A cette question M. Reinach répond affirmativement. Car selon lui la mission de la maison de Habsbourg serait de présider aux bords du Danube et de la Vistule à une libre confédération des peuples qui, tournée vers l’est, servira de contrepoids à l'Allemagne dans l’Europe centrale et à la Russie dans l'Europe orienrope. C’est sur cette Autriche, l'Autriche hypothétique, transformée en confédération d'Etats libres, et sur la chimère d'une “maison de Habsbourg régénérée, embellie par l'imagination d’un Français d'élite, que M. Reinach fonde des espérances. Et il nous raconte tous les bienfaits dune combinaison aussi avantageuse.
Nous sommes d'avis qu’une confédération d'Etats danubiens avec PAutriche en tête est une illusion tout aussi dangereuse que celle de la formation d'une confédération d'Etats balkaniques dont devait faire partie la Turquie, conception qui prit naissance au lendemain de la révolution, jeuneturque. | \
Or lexpérience a montré combien une telle conception fut «erronée. La Turquie; loin d'évoluer, retomba dans l'anarchie et dans la terreur et la faillite du régime ‘jeune-turc ne tarda pas à venir. Le problème balkanique ne put donc plus être résolu que par l'épée, en 1912. Il en serait de même pour le problème autrichien. Comme la Turquie, l'Autriche est incapable d'évoluer. Elle doit fatalement subir le même sort que la première. En vou/lant opprimer les autres elle à dû ellemême accepter le joug de lAllemagne. Vienne, comme Constantinople, m'est plus qu'un faubourg de Berlin. Il arrivera donc ce que Palazki prévoyait déjà en 1867:
la nature reprendra ses droits, et les peuples opprimés finiront par s'affranchir. C'est pourquoi tous les efforts faits actuellement par des publicistes ententistes et-neutres pourdétacher L'Autriche. de. PAIlernagne en faisant à la première des promesses mirobolantes ne peuvent avoir d'autres effets que d’affaïblir la résistance des peuples opprimés de la Monarchie qui luttent courageusement pour leur affranchissement. Loin de s’enthousiasmer des projets surannés de Talleyrand et de Kossuth, il faut embrasser franchement lidée de Mazzini, le véritable apôtre de la liberté et le champion hardi du principe de nalionalité qui prêcha, il y à déjà plus d’un demi-siècle; Ia disparition des Empires turc et autrichien. ces deux Etats constiluant les véritables anachronismes politiques. Ce m'est qu’'alors qu’on pourrait librement envisager une confédération de l'Europe Sudorientale sur le principe d'égalité et de parité des dorits. Au lieu de tirer de da poussière des archives les projets impérialistes, il auraït mieux valu se rappeler le testament politique de Gambetta qui recommandait à ses compatriotes l'alliance avec les Slaves du Sud. (Voir sa correspondance avec Mme Juliette Adam, reproduite dans la «Serbie» du 10 sep-
tembre 1916, No 19). ! M. D. MARINCOVITCH. P. S. — Cet article terminé, nous
venons de recevoir le «Pester Iloyd» du 7 mars, contenant la réponse du comte Andrassy à M. Reinach. Cette réponse ne fait que confirmer ce que nous venons de dire sur l'impossibilité d’une évolution autrichienne vers une confédération libre des peuples de la Mônarchie. Voici Ja dernière partie de cette réponse:
« Si l’article de M. Reinach signifie : qu'en France on se rend compte que de- puis lPeffondrement de la Russie ïl est qu'une puissante Autriche qui puisse assurer l'équilibre en Europe Orientale, alors les Français doivent aller plus loin que ne le fait M. Reinach. Ils devraient mon seulement renoncer à leur demande de partage, maïs aussi à nous gratifier de projets d’organisa{ion et d’offrandes de nouveaux territoires. Celui qui désire nous voir forts doit nous laisser avec raison le soin de trouver la manière de nous assurer cette force. » $
Le comle Andrassy croit encore découvrir dans le projet de M. Reinach l'arrière-pensée de vouoir distoquer l'Autriche en lui infiltrant l'élément slavo-roumain et en lui substituant une Monarchie qui servirait les buts de l'Entente. u
« Si cest cela la pensée de M. Reinach, dit lé comte Andrassy, aïors il est clair qu'il ne nous connaît point. La con