La Serbie

Iime Année. — No 16

Re

Prix du Numéro : 10 Centimes

on

Genève, Samedi 20 Avril 1918

ELLE

JOURNAL POLITIQUE HEBDOMADAIRE

RÉDACTION et ADMINISTRATION @, rue du XXXI Décembre - Genève

Téléphone 14.065

Paraissant tous les Samedis

Rédacteur en chef : Dr Lazare MARCOVITCH, professeur à l’Université de Belgrade

Le Congrès des nationalités opprimées

Le Congrès des nationalités opprimées par l'Autriche-Hongrie, qui s'est tenu à Rome,

ment dé terminer ses travaux. Les résultats en

sont d'autant plus importants qu'ils se produisent au moment où la monarchie des Habsbourg menace à l'intérieur les Tchéco-Slovaques .et les Yougoslaves dans le but de briser la volonté des peuples martyrs, décidés à conquérir par ‘tous les moyens leur liberté et leur indépendance, tandis qu’à l'extérieur, elle s'efforce de semer la discorde et de faire miroiter l'illusoire possibilité de conclure une paix autrichienne. A toutes ces intrigues, la manifestation de Rome est une riposte digne des peuples qui repoussent avec mépris la suggestion fallacieuse d'une autonomie nationale dans le cadre de la Monarchie.

L'importance du congrès de Rome est doublée par le fait que l'Italie se met à la tête des nationalités opprimées et organise une nouvelle lutte, dont la devise est : la liberté de tous les peuples, le respect de leur droit de disposer d'eux-mêmes et l'alliance intime pour la lutte contre l'ennemi commun.

Le Congrès de Rome a adopté la résolution suivante :

« Les rapports particuliers entre les Italiens et les Yougoslaves seront fondés désormais sur la reconnaissance de l'unité et de l'indépendance yougoslaves, d’un intérêt vital pour l'Italie, de même que l'unité nationale italienne est d'un intérêt vital pour la nation yougoslave. Les deux nations s'engagent à résoudre les contreverses territoriales éventuelles, sur la base du droit des peuples à disposer de leur sort, de manière à ne pas lèser les intérêts vitaux des deux pays, tels qu'ils seront définis au moment de la paix. Les minorités restant enclavées dans les territoires étrangers obtiendront la liberté linguistique et culturelle et l'on assurera la sauvegarde de leurs intérêts économiques el moraux ».

L'importance de la résolution adoptée est illustrée par les paroles de M. Orlando, lors de la réception des délégués, M. Orlando a dit en effet que la solidarité italo-yougoslave est fondée sur les souffrances communes et qu'il n'existe aucune cause profonde de dissentiments lorsque l'on examine sincèrement et loyalement les conditions respectivement nécessaires à l'existence de chacune des deux nations. Quant aux peuples ethniques enclavés, il sera juste de donner les garanties indispensables à leur développement au sein de l’état auquel les nécessités réciproques d'existence forceront de les attribuer. Cette déclaration de M. Orïlando signifie l'adhésion formelle de l’Itahe à une nouvelle orientation fondée sur le principe de. la.liberté des peuples et même sans. une précision plus grande, on peut admettre que la ligue générale de l'accord à conclure par les gouvernements compétents et à soumettre au congrès de paix, est trouvée. Il reste à continuer plus énergiquement à travailler dans ce sens, cette première étape devant servir de point de départ à des relations et à un contact plus intimes entre les hommes politiques et les publicistes italiens d’une part, serbo-croates-slovènes d'autre part.

Cependant il ne faut pas s'arrêter à ces genéralités. Les courtoisies échangées — nécessaires en tant que préliminaires — ne suffisent pas. Aussi doit-on désirer que les questions intéressant les deux peuples soient traitéps sous une forme amicale et avec le concours de tous les hommes susceptibles de contribuer au succès final. Le Congrès de Rome fut une improvisation heureuse, ayant une importance in-

——————————… … —…—…— — …" — — — _" _ _——"—"—"—.""…"….".— — ———_——_————…—…—…—…—….…—…" …—…—. ——…"…"—…— …—"— . .…"—… —… —…". —…"— — —…"….— _…" _…" —… …. — …. —" …"_….… …… ……——….…—_…"—" …"—" — _—"_._————— ————"—"—"’_…"…"—…— ——…. … —…— ……..…—. — — _… —…"_"_— — _——..……—.. ."._…_—————_.…—.———…— .—.—._… _——_—

ternationale, mais ses résultats décisifs dépendent d’un travail loyal et intensif.

Quant à notre journal, ses rédacteurs et collaborateurs seront heureux de voir se réaliser ce qu'ils prêchent depuis le mois de mai 1916. Ils saluerons avec joie le commencement d'une ère nouvelle dans les rapports italo-yougoslaves et leur espoir s'affermira de voir leur action s'élargir et se concrétiser afin de couper dans sa racine, toute tentative nouvelle de vaines discussions d'inutiles controverses.

En terminant, nous tenons encore à constater que la Serbie, qui a toujours refusé les offres de paix séparée et de sacrifier ainsi ses frères d’Autriche-Hongrie, voit avec satisfaction que sa politique nationale se trouve en parfait accord avec celle de l'Italie. Les révélations apportées récemment par l'Empereur Charles démontrent éloquemment quel idéal élevé l’héroïque peuple serbe poursuit, en repoussant toutes les offres d'un caractère égoïste.

Le Congrès de Rome infuse à tous les Serbes de nouveaux et plus lumineux espoirs.

Vive l'Italie ! Vive la Serbie ! Vive la future Yougoslavie | -

Rome, le 14 avril 1918. L. M.

A la séance de la Scoupchtina du 12 avril le député M. Trifcovitch a interpellé le ministre-président au sujet du discours du comte Czernin et de l'exactitude de ses assertions relatives à la Serbie. Le président du Conseil M. Pachitch répondit qu'il avait démenti les affirmations du comte Czernin + dès qu'il en eut connaissance par une dépêche d'Amsterdam et qu'il déclarait de nouveau devant le Parlement que ces affirmations, en ce qui concerne la Serbie étaient inexactes (exclamations à droite : « Czernin ment ! ») M. Pachitch déclara ensuite que le comte Czernin n'avait jamais fait de propositions de paix à la Serbie et qu'elle ne les aurait pas acceptées. Toutes les affirmations de M. Czernin ne sont que des intrigues de l’Autriche-Hongrie. à

Le président du Conseil a lu ensuite la partie "du discours Czernin où il est dit que l'Autriche ne veut pas anéantir complètement la Serbie mais veut vivre en paix avec elle tout en désirant cependant la vaincre moralement et la lier économiquement à elle. M. Pachitch déclara que l’Autriche et le comte Czernin se trompaient ; s'ils se font de pareilles idées sur la Serbie (c’est qu’ils ne la connaissent pas ».

L'interpellateur déclara ensuite qu'il était satisfait de la réponse du président du Conseil partageant son avis que l'Autriche ne se servait que d'intrigues. Elle n'intrigue pas seulement contre un grand pays comme la France mais aussi contre un petit comme la Serbie / exclamations : Vive la France ! vive la Serbie!) L’Autriche a intrigué de même dès le début de la guerre pour séparer la Russie de la France. Toutes les intrigues contre la Serbie ne font que renforcer son union avec ses grands et puissants alliés.

(Bureau serbe de la presse).

DUPLICITÉ RUTRICHIENNE

En admettant même que la lettre de l’empereur Charles dont nous parlons d'autre part, n’ait pas été un piège destiné à diviser les Alliés, elle était en tout cas leurrée d’affirmations inexactes. Dans l'Œuvre du 13 avril, M. Pichon

le fait très bien ressortir en ces lermes :

« Tous les peuples de mon Empire sont unis plus étroitement que jamais dans la volonté de sauvegarder l'intégrité de la monarchie ». Faux. Les régiments tchèques et yougoslaves se sont rendus aux Russes et aux Serbes .en si grand nombre qu’on a pu, avec ses prisonniers volonfaires, former loute une armée. Les députés tchèques et yougoslaves préchent ouvertemenit le démembrement de l'Empire traditionnel. Et chaque jour la presse gouvernementale, à Vienne comme à Pest, les accuse de haute trahison.

« Personne ne pourra contester les avantages militaires remportés par mes troupes ». Faux. Tant qu'ils ont été seuls, les Autrichiens .se sont fait battre. Sans les Allemands, ils n'auraient pu se défendre contre l'invasion russe; sans les Bulgares, ils n’auraient pu venir à, bout des Serbes.

« Aucune divergence de vues ne sépare mon Empire de la France ». aux. La France professe que les peuples doivent disposer d’euxmêmes, et ce principe est la négation radicale de l'existence de l'Autriche. :

« Un état de guerre pour lequel aucune

|xésponsabilité ne peut m'incomber ». Faux. La

guerre a été déclanchée par l’ultimatum autrichien à la Serbie.

« J'appuierai par tous les moyens et en usant de toute mon influence personnelle auprès de mes alliés les justes revendications françaises relatives à l'Alsace-Lorraine ». Quels moyens

Suisse... Gfr. — par an mm

ABONNEMENT }

Autres pays. 9fr.— »

comple employer celui qui parle ainsi? Et quelle influence personnelle a-t-il à On le regarde à Berlin comme un bon jeune homme qu'il est à la fois facile et nécessaire de tenir en tutelle. Il ne suffira pas sans doute qu’il conseille à Guillaume 11 de nous céder l'Alsace pour que celui-ci se déclare miraculeusement converti. D'autre part, le public en Autriche est très divisé : Germains et Magyars pensent comme les Prussiens sur la question alsacienne ; les Slaves pensent comme nous; mais de se figurer que leur opinion puisse avoir quelque poids sur l'Allemagne, ce serait par trop naïf.

La situation de l'Autriche en Europe

par Siegfried FLESCH

La guerre est Le développement le plus puissant des effets et des réalités politiques. Elle rompt le voile de toutes les phrases de charlatanisme politique et scientifique. Les événements se sont déve-

-loppés jusqu'ici, et malgré les intrigues

diplomatiques, comme conduits par une forte destinée ayant une connaissance infaüllible du but, et cela à travers unie suite monstrueuse de mensonges. Le vieux problème autrichien ne subsiste au fond que parce que la dissolution de la Monarchie a été de la plus haute nécessité il y a déjà un demi-siècle, dans l'intérêt. des peuples tourmentés, dont elle tire la force de son existence. Cette dissolution a été manquée alors et la question de J’Autriche apparaît maintenant de nouveau et très clairement à l’ordre du jour.

. La guerre apporta la prépondérance mar ësaro-allemande dans l’armée, dans Padministration, dans l’organisation el conformément À la loi qui dit qu'une forte centralisation est toujours suivie em Autriche d’une forte décentralisation, nous voyons une suite inouie de meurtres judiciaires, des procès de haute trahison, des lorêts entières de potences, des prisons, remplies’ des plus nobles éléments qui restent encore dans la Monarchüe. Mais il y a encore, outre l’orageuse demande de l'indépendance des T° chèques, l'entière impossibilité de mettre de nouveau d'accord dans un parlement nouvellement ouvert, les peuples maltraités, partagés, décimés. Les Ukrainiens veulent être réunies à la Russie; les Slaves du ‘Sud, les Serbes, les Croates, les Slovènes, forment un bloc, auquel on me peut que souhaïler de ne pas se trouver de nouveau livré aux persécutions des cinquante dernières années.

Ainsi se dresse aujourd’hui la question des nationalités. Nous voyons aussi apparaître à nouveau, et très claïremient la rivalité des deux empereurs, dans l'essai que fit la cour de Vienne, pour gagner le pape à la paix. L’Autriche cherchait toujours comme aide, pour son idée d’omnipotence, la sanction papale, et elle est aujourd’hui très fortement appuyée À cet effet par les Jésuites, attirés par l'odeur “de pourriture, et qui dans loscillation moyennageuse entre le pape et l’empereur, voyaient de plus importants points d'appui de la politique de lEglise..

. L'Autriche se monitra même si dévouée à la proposition de paix du pape, quelle se déclara en apparence prête à contrecarrer les efforts d'expansion de lAllemagne. Des groupes entiers de. partis, dans le camp de l'Entente, tombèrent victimes de cette tactique. qui fut surtout appliquée dans le conflit italo-serbe, artificiellement gonflé par des manœuvres de la presse

austro-papale.

De leur côté, les Hohenzollern cherchant à fonder, comme au Moyen Age, l'Empire universel en s'appuyant sur les prolétaires. Ils exploitent, par des intrigues, chaque mouvement du prolétariat des Etats ennemis, qui semble ne pas se rendre compte qu'il tombera, dans le cas de succès impérial, dans l'esclavage.

. Ainsi, lorsqu'on examine les raisons qui devraient justifier la subsistance de lAutriche comme unité étatique, on devra se convaincre que tous les mouvements et les courants politiques qui depuis l’époque de la Restauration combattaient le progrès dans les Etats européens depuis l’époque de la Restauration, sont dus prin-

cipalement à l'Autriche, qui devrait être conservée comme le foyer de la réaction, si on voulait lui reconnaître ce rôle. L'union des Etats autrichiens, avec sa base décomposée et corrnompue, fut un des derniers liens d'attache avec le passé européen, celui sur lequel chaque gouvernement réactionnaire trouvait un point d'appui et auquel faisaient des coquietteries toutes les dynasties d'Europe. L’Autriche servait toujours de prétexte pour les nouveaux projets militaires, parce que d'un côté son territoire n'avait pas de frontières nationales et de l’autre l’idée de l'Etat autrichien ne reposait que sur les points de vue militaire et économique. En outre, l'Autriche fut. toujours le centre préféré de toutes les tendances impérialistes sur le continent européen. Cest ici que la politique d'expansion pouvait toujours trouver des sources nouvelles.

Aujourd’hui, il s'agit cependant de la lutte entre la démocratie kt ce qui reste des üdées moyenâgeuses. Ce choc de deux conceptions mondiales doit être résolu. Ni les tentatives d'arrangemient, ni les propositions de réconciliation ne sont possibles. Toute solution qui namènera une décision définitive ne serait qu'un ajournement tragique et coûterait à l'Europe plus de sang et de victimes que la dernière épreuve de force, dans la guerre actuelle. N'essayons pas de brouïiller les esprits par des quantités d'actions subordonnées et n’usons-nous pas de la psychose de la guerre dans toutes ses manülestations, pour des petits buts de parti, ou même pour des lins personnelles. Le développement de l'Europe nous montre dans sa synthèse le point central de la question. On ne peut demander au développement et au progrès de s'arrêter et s'ils peuvent être ajournés et empêchés, ce sera toujours avec des suites tragiques pour l’humanité. Lassalle (1) a écrit en 1859:

« L'Italie combat dans la plus juste et la plus sainte des guerres qu'un peuple puisse faire, elle lutte pour son indépendance nationale et pour son existence. Elle se bat avec un noble enthousiasme contre un adversaire par trop puissant, contre une conception d'Etat la plus arriérée que VEurope ait pu exhiber, contre Ÿ? Etat usurpateur l'Autriche. » (P: 301)

« Le principe de la démocratie a son fond .et sa source de vie dans le principe des nationalités libres. La: démocratie ne peut pas fouler ce principe aux pieds sans mettre ume main. meurtrière sur Sa propre existence. » (P. 303.)

« En Autriche, le Gouvernement, en opposition à ses peuples, représente le principe barbare et force ses peuples artificiellement et par la violence à se subjuguer à ce principe. » (P. 306)

« L’Autriche est un principe réactionndire, conséquent en soi-même. C’est pourquoi elle fut, depuis son existence, lennemi le plus dangereux de toutes Les idées de liberté. » (P. 316.)

Pour contredire ces. citations, on peut

dire qu’elles sont de 1859 et qu’elles ne

valent pas aujourd’hui ce qu'elles valaient autrefois. C’est pourquoi nous ajousons ici un jugement politique porté sur l'Autriche pendant la guerre actuelle:

d) «Paroles et Ecrits de Ferd. Lassalle», édités par Edouard Bernstein, Berlin, 1892, ler volume.