La Serbie

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prix dE NÉMCON Genève, Samedi 11 Mai 1918

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Ime Année.

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LA BATAILLE DE FRANCE

Paraissant tous les Samedis

Rédacteur en cheî :

Deux ans apres Verdun, les Allemands

ont recommencé au mois de mars, par leur ruée nouvelle sur le front occidental, le même travail de Sisyphe : le percement du front francoanglais. L'expérience de Verdun ne semble pas leur avoir servi, car le plus gros canon allemand est loin d'être aussi lourd que ne l'est l'esprit de ce peuple. C'est pourquoi ils s'obstinent, malgré tant d'échecs précédents sur ce front, à poursuivre la réalisation de leur « plan grandiose », sacrifiant des centaines de milliers d'hommes, sans jamais arriver à saisir les véritables causes de leurs insuccès. Allemand, capable dans le détail, est piteux dans l'ensemble. Qu'il s'agisse des problèmes politiques ou de la conduite de guerre, ils commettent les mêmes erreurs psychologiques. _ Leur jugement manquant de base morale, tous leurs efforts sont destinés à rester stériles et vains lorsqu'ils se trouvent en face d’adversaires dont les qualités morales résistent à toute épreuve. Les Prussiens n'ont pas compris que c'est la force morale des Français, leur héroïsme et leur endurance qui étaient la cause de l'échec allemand à Verdun. Ils l’attribuaient au contraire à l'insuffisance de leur préparation matérielle. Car, pour les Allemands, tout le problème militaire se réduit à une question d'effectifs et de matériel. On s'’empressa de construire de nouveaux canons plus lourds que les anciens et: on--finit-même par. inventer des pièces à longue portée. Cependant, malgré les masses des divisions ramenées de Russie, malgré les « Gothas » et les « Berthas », la dernière offensive allemande ne semble pas avoir plus de chance de réussir que les précédentes. Depuis le commencement, on a changé déjà plusieurs fois d'objectif stratégique, et cela seul permet déjà de douter du succès de l'entreprise.

Le seul effet certain et positif de la derniere offensive allemande était de développer l'esprit combatif chez l'adversaire. La brutalité des procédés allemands a réveillé chez les Français l'esprit belliqueux des anciens Gaulois et le peuple français, essentiellement pacifique et humanitaire, a évolué dans le sens militariste. Les démocrates, républicains et socialistes français se sont peu à peu mués en guerriers intrépides, résolus à soutenir la lutte jusqu'à la victoire. Ainsi à côté de l’armée française avec laquelle les Allemands ont dû compter et dont la force leur était connue d'avance, surgit une armée nouvelle, une armée des citoyens dont la force surprenante défie tout le jugement des cercles militaires et de l'Etat-major allemand. Le miracle de la Marne et la défense héroïque de Verdun ont été düs à cette force

nouvelle et imprévue. C'est cette armée des

citoyens libres, conscients du danger que court leur patrie et, avec elle, la liberté et la civilisa-

tion du monde que les Allemands trouveront :

‘en face d'eux sur le champ de bataille de Flandres. Les progrès que l'esprit combatif a fait en France dans le dernier temps, on peut les apprécier d’après la popularité toujours grandissante de M. Clémenceau, dont pendant longtemps l'on craignait l'audace et la manière autoritaire. À présent il est devenu l'idéal du peuple français. Le « Tigre » est devenu populaire à ce point que les jeunes recrues se donnent volontiers le nom de tigres en témoignage de leur admiration pour l'énergique président du conseil. Voilà un des effets de la dernière offensive, l'effet qui n’était pas prévu par les Allemands. Mais il en est d'autres non moins importants et significatifs.

|alliés de l'Allemagne

Ainsi jamais la France n’apparut au monde plus grande qu'au moment actuel où, trahie par son alliée et toute saignante de blessures, elle tient fièrement tête à la ruée ennemie. Malgré le défaitisme par lequel on essaya de la diviser et de la déshonorer, elle sut refouler l’ennemi en lui faisant payer cher chaque pouce de terrain qu'il prétendait lui enlever. Elle présente aujourd'hui un exemple analogue à celui de l'époque de la grande révolution, lorsqu'on refoula les ennemis coalisés tout en faisant la guerre à l'ennemi intérieur : les partisans de l'ancien régime. De tels spectacles, on n'en voit guère que chez les Français, dont l'attitude et les vertus civiques rappellent les plus beaux moments de l'antiquité. Epris de liberté, les Français, chez qui les sentiments supérieurs de l'honneur et de la justice sont innés, ont été de tout temps le peuple dont la gloire à fait l'admiration du monde.

Ce sont les âmes de leurs ancêtres qui revivent aujourd'hui en eux.

Félicité de sa victoire de Tsouchima, qui surprit le monde entier, l’amiral Togo répondit avec modestie: Ce sont mes ancètres et non moi qui ont gagné la bataille. En effet, les qualités acquises des ancêtres, fixées dans l'âme de leurs descendants, représentent une force morale capable de résister à toute épreuve.

La France d'aujourd'hui comme celle d'autrefois. peut.ètre fière de ses fils. Tandis que les Allemands plient sous les coups, craignent la menace et la terreur et se grisent de chaque succès, les Français se redressent dans le malheur et se surpassent dans le péril en faisant des éfforts surhumains. On péut en dire presque autant de leurs alliés britanniques. Ceux-ci, par leur résistance obstinée dans les premiers jours de l'offensive, ont prouvé une fois de plus qu'ils sont en défensive les premiers soldats du monde.

Aussi l'avance allemande des trois premiers jours fut une victoire à la Pyrrhus. On peut dire avec justesse que les Anglais sont pour la défensive ce que les Français sont pour la guerre de mouvement : c'est à dire incomparables. La bravoure française et la ténacité britannique ont altéré tout le jugement que les Allemands ont porté sur la force de résistance des Alliés.

La troisième phase de la dernière offensive vient de commencer par la marche sur Amiens. Sans être un grand prophète, on peut prédire comment elle va finir. Mais les Allemands ne se tiendrons pas pour battus. Îls poursuivront la lutte jusqu'à leur épuisement complet qui ne tardera pas à venir. On entend déjà le fouet de Hindenbourg siffler autour des têtes des et des vassaux. Il faut que tout le monde marche. Cela rappelle le fameux geste de Xerxès forçant à coups de fouet les Perses d'avancer aux Thermopyles. Mais les esclaves ont rarement eu raison des hommes libres. L'histoire est là pour crier cette vérité à ceux qui n’apprennent rien

de la vie. M. D. M.

Les seidleriades extra-parlementaires

Après le discours de Czernin devant la municipalité de Vienne, ce fut au tour du Dr Selle de parler devant les chefs des partis politiques. Evitant le Parlement, comme sol collègue les Délégations, Seidler, fidèle au partage convenu des rôles, s'est borné à parler uniquement des aspirations nationales yougoslaves. Ù

«Je ne sais pas, dit-il, si l'Etat sud-slave naîtra um jour. Ce n'est pas une impossibilité, mais il n'est pas possible d'en parler. ici, parce que

l'affaire ne concerne pas uniquement l'Autriche, ° mais aussi la Hongrie et la Bosnie. Je ne veux:

souverains .

Dr Lazare MaRCOUITCH, professeur à l'Université de Belgrade

“+ \ pas non plus envisager la question. de savoir Si certains territoires autrichiens pourraient être réunis à cet Etat mais une chose est assez claire: c'est quesi un tel Etatétait créé, il va Sans dire qu’il ne pourrait être question d'une telle créaion que sous le sceptre de S.M. et que ce

Etat ferait partie intégrante de la momarchic il ne pourrait l'être par des conditions «le paix

+t qu'on. ne pourrait pas Jui, annexer toutes, les parties dut territoire autrichien séparant ee Etat de l'Adriatique et se trouvant en étroite ‘ÿnion avec les régions parlant allemand.» Ajpsi, le chevalier Seidler nous dit ne pas savoir si les Yougoslaves obtiendront l’indépendance politique ou non. Il me dit pas qu'il S'opposera à la création de la Yougoslavie, il ne dif pas non plus qu'il facilitera sa réalisalion. Tout dépend, comme il l'a laissé sous-enlendre, de la conduite des Yougoslaves. «Si vous vous comportez bien, on fera quelque chose pour vous, Sinon alors, gare à vous!» C'est le sens des paroles du ministre-président autrichien et des menaces proférées à la fin du discours,

La science allemande et le bulgarisme

JOURNAL POLITIQUE MEBDOMADAIRE

Suisse......…. Gfr. — par an

NNEMENT } Je nC Autres pays. 9fr.— >»

En attendant de voir l'effet de ces menaces «el de ces offres déguisées, il n’est pas sans intérêt de constater que les trois points négatifs posés comme «ednditio sine qua non» de toute solution de la question yougoslave, sont précisément les points sur lesquels le chevalier Seïdler pouvait s'exprimer avec le moins de certitude. D'abord, une Yougoslavie dans le cadre de la monarchie ne serait qu'une farce, Parce que de éeux choses l’une: où bien elle $era libre et indépendante et alors cette Yougoslavie se Séparera immédiatement de Ja Magyarie et de l'Autriché, Ow bien elle aura seulement l'apparence d'un Etat indépendant, tout en restant une province austro-magyare. Le second point est encore plus clair. M. Seidler nous assure que jamais la question yougoslave ne sera l'objet de Ja conférence de la paix, On verra. Enfin, il donne l'assurance aux Allemands que la Yougoslavie si elle venait à être créée, n'embrassera pas tout le littoral adriatique et que les Allemands garde19nt au moins une partie des pays slovènes. C'est ce qui reste également à voir. R.

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La guerre ayant privé la science allemande des marchés nombreux qu’elle s’élait procurés

.dans les pays alliés, les savants allemands se voient obligés, faute de mieux, de fraterniser avec les Magyars, Bulgares et Turcs. Ce n’est pas

évidemment très flatteur pour l'ambition teulonne, mais à la guerre comme à la guerre. Ainsi la dernière visite en Bulgarie et sur le front de Salonique a tellement enthousiasmé les professeurs allemands, que leur joie de ne pas se voir complètement isolés, leur avait inspiré des paroles plus que significatives. Le chef de l'expédition universilaire allemande, le célèbre criminaliste Karl Binding, de Leipzig, le méme qui avant la querre n’aimail pas à voir dans son institut les rétudiants bulgares, à prononcé, à Sofia, lé discours suivant, d’après le « Dnevnik » du, 28 mars :

« Nous, professeurs allemands, en recevant l'invitation de la Société des savanis et artistes bulgares, de venir à Sofia pour y faire des conférences, l'avons acceplée de tout notre cœur, parce que nous savions que nous irions dans un pays ami et allié. Comme le plus âgé parmi vous, je puis vous assurer que je serais venu ici et au front de Salonique, même en risquant ma vie. Îl est juste el nécessaire que la Macédoine reste dans les mains bulgares, éprouvées el capables. En ma qualité de savant, qui s’est occupé longuement des queslions du sort humain, je puis assurer que l'alliance entre l'Allemagne et la Bulgarie doit rester en vigueur pour toujours,

sans égards aux difficultés qui pourraient survenir. }

Que le vieux professeur Binding soit un bon patriote allemand, personne ne saurait l'en blâmer, mais son zèle bulgaromane est pourtant un peu exagéré. Risquer sa vie en Serbie uniquement pour aider les Bulgares à anéantir le peuple serbe, c’est trop — même pour un professeur allemand. Si l’on se rappelle aussi les idées du professeur Binding sur le Droit Criminel, sur son essence el ses sanctions, on doit s'étonner que le réprésentan! autorisé de l’école criminaliste allemande n’ait pas su trouver le temps d'enseigner aux Bulgares quelques notions élémentaires, sinon morales, du moins juridiques, sur le crime et les chätiments: Au lieu de jurer sur l'alliance éternelle bulgaro-allemande, le professeur Binding aurait pu se souvenir du texte du serment que ses étudiants prononçaient devant lui, lors des promotions, du serment engageant les jeunes juristes à ne défendre que ce qui est juste. Et il aurait pu dire aux Bulgares que le mal reste le mal, le crime reste le crime même s’il n’est pas de suite expié. Le vieux professeur aurail peut-être risqué sa vie par de lelles paroles, mais il aurait sûrement sauvé l'honneur de la Science. Il ne l’a pas fait et c’est ainsi qu’il lui est arrivé juste le contraire. Lui est rentré sain et sauf à Leipzig. Et la science allemande? Elle a vu s’ajouter à ses nombreuses tâches antérieures une tâche nouvelle et non la moins laide. |

Nous avons reçu la letire suivante de M. À.

Chervin :

J'ai lu, avec le plus vif intérêt, le très

remarquable article que M. Marc Dufaux à

publié, dans le No du 27 avril 1918 de votre vaillante feuile, sur l'Autrichie-Hongrie. J'applaudis, des deux mains, aux arguinents de l'honorable rédacteur en chef de «la Suisse». Comme lui, j'estime que «léquilibre européen acquèrerait une stabilité meilleure et plus durable si Les nationalités allogènes opprimées étaient .libérées.» PR

Permettez-moi d'ajouter un argument complémentaire à tous ceux développés avec une logique irrésistible, par M. Marc Dufaux. Libérer les Slaves de lAutriche est, évidemment, le premier a:te à accomplir; les unir est l'acte terminal indispensabie qui mettra le sceau à leur indépendance, et à la tranquilité de l’'Europe. On ne peut y arriver qu'en créant “le Corridor de communication que j'ai imafginé et qui comprend les terrtoires des Comitats de Moson, Sopron, Vas el Zala. D'une part, en effet, ce Corridor séparerait la Hongrie de l’Autriche, de l’autre il permettrait Vunion territoriale des : pays tchèques et de la Yougoslavie.

_ Après la guerre, l’activité économique renaîtra peu à peu et les Slaves de l’Au-

triche ne seront certes pas en retard pour

s'elforcer de faire revivre l'industrie,

Le corridor tchéco-yougoslave

l'agriculture et Le commerce. Or, quels sont les éléments indispensabies à cette renaissance? Ce sont, n'est-il pas vrai, les moyens (de communications fac.les, rapides et à bon marché. Dans quelle situation seront, sous ce rapport, les Yougoslaves et les Tchèques? Ils ne pourront communiquer qu’à travers l'Autriche ct la Hongrie et les dificultés seront, certainemen!, très grandes sous tous tes points. Les Allemands et les Hongroïs voudront, sans aucun doute, se réserver le. marché yougoslave. Ils ne permettront pas aux marchandises slaves de traverser leurs territoires sans les srever de lourdes perceptions et de longs délais de transit afin de les décourager. Donc, le commerce yougoslave ne pourra pas S'approvisionner du charbon et des produits de toutes les industries tchèques dont il est dépourvu et dont il aura besoin, sans passer sous les fourches caudines des tarifs et des douanes austro hongroiïses. La Yougoslavie aura, évidemment, toute facilité pour commercer par mer avec lItalie, da. France et l'Angleterre. Mais les produits tchèques qui pourraient lui parvenir facilement et à bon compte lui seront en quelque sorte interdits.

Actuellement, le Corridor est sillonné par de nombreux chemins de fler d'intérêt local et deux importantes lignes:. 1° la ligne de Vienne à Budapest par GrammatNeusiedl et Gyôr; 20 la ligne de Vienne à Pécuj (Pécs) en passant par WienerNeustadt, Sopron, Szombathely, Nagy-Ka-