La Serbie

“fllms Année. — No 22

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La déclaration de Versailles! QUI A PRO

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JOURNAL POLITIQUE HEBDOMADAIRE

Paraissant tous les Samedis

Rédacteur en chef : Dr Lazare MAaRCOVITCH, professeur à l'Université de Belgrade

VOQUÉ LA GUERRE ?

La question yougoslave fait des progrès. C'est un fait incontestable qui se dégage des

manifestations et des événements des derniers

Après le congrès des nationalités oppris mées à Rome, la déclaration officielle de Lansing disant que les aspirations nationales tchèques et yougoslaves rencontrent à Washing-

jours.

ton les plus vives sympathies, est venue bien à:

propos pour jeter plus de lumière sur la vague formule des autonomies nationales. Les déclarations de Versailles ont marqué, elles aussi, un pas en avant. Les gouvernements alliés s'associant à la manifestation de Washington, ont exprimé la même sympathie pour les aspi-

rations tchéco-slovaques et yougoslaves vers la

liberté. S'il n'y avait pas le postulat clair, pré-

cis et catégorique, “concernant la Pologne, l'on

n'aurait qu'à applaudir des deux mains à cette

déclaration officielle sur les Yougoslaves, qui

se rattache après tant d'hésitation à la note des Alliés du 10 janvier 1917. La distinction faite entre la Pologne d'un côté, et la Yougoslavie et la Bohème de l'autre, oblige cependant à examiner de près la situation créée. Et cela pour discerner, s'il y a lieu, la forme du fond. Les jubilations de la « Neue Freie Presse » du 11 juin disant que la déclaration de Versailles est une douche froide pour les créateurs

d'Etats yougoslave et tchéco-slovaque, nous. youg q

semblent aussi injustifiés que l’est l'approbation inconditionnelle exprimée par une partie de la presse alliée. Faisons à l'instar du Conseil de Versailles un distinguo.

Considérée du point de vue purement poljtique et jugée d’après tout ce qui l'a précédée, la déclaration de Versailles ne représente en réalité qu'une étape dans l'évolution des idées de liberté engendrées par la guerre. Comme telle nous la saluons avec la plus vive satisfaction. Si la déclaration de Versailles était au contraire le dernier mot des puissances alliées, si elle en exprimait la formule définitive, alors nous aurions à faire des plus sérieuses objections. La tactique à adopter diffère suivant les pays et les circonstances particulières. Nous autres, simples observateurs qui ne possédons pas les éléments nécessaires pour pouvoir juger objectivement d’une action concrète, nous sommes les derniers à vouloir critiquer a priori l'opportunité d’une attitude déterminée dans les questions de forme et de moyens. Mais du moment qu'il s’agit des buts finaux, des solutions définitives, la situation change et nous avons le devoir de donner des avertissements et de faire des réserves. Dans le cas actuel, malgré les erreurs et les illusions nombreuses de la diplomatie alliée, nous ne pouvons pas nous imaginer qu'il s'agisse d’autre chose que d'une tactique, laquelle ne porte nullement atteinte au principe de l'indépendance complète des peuples et plus particulièrement des Yougoslaves. On peut juger une tactique comme on veut, mais on ne doit pas la confondre avec l'idée dont la réalisation est recherchée. Nous voyons donc dans les déclarations de Versailles un puissant encouragement dans notre lutte pour l'indépendance nationale, et notre foi dans les Alliés n'en est devenue que plus grande et plus robuste. 5

L'idée directrice, dans l’œuvre de libération des peuples doit rester inébranlablement la même. Les Alliés n’ont aucun intérêt à privilégier les uns et à négliger les autres. En ce qui concerne la Pologne, tous les efforts slaves tendaient jusqu'à présent à obtenir des Polonaïs une politique de solidarité. Les promesses séduisantes de Vienne, faites ces derniers jours aux Polonais en vue de les séparer des Yougoslaves et Tchéco-Slovaques, semblent être vouées à l'échec complet à en juger d'après la résolution votée par la réunion de Cracovie. La déclaration alliée sur la Pologne aurait donc certainement gagné en vigueur et en conséquences, si elle avait été accompagnée de déclarations semblables sur les Yougoslaves

et Tchéco-Slovaques. Tout s'enchaine et une Pologne vraiment libre n’est possible qu'à côté des autres Etats nationaux libres et indépen-

dants. Si la Pologne, même unifiée, devait

rester enclavée entre l'Allemagne et l'Autriche, son sort serait identique à celui de la Belgique. Elle sera toujours à la merci de l'état-major allemand. D'autre part, la question yougoslave est, dans une certaine mesure, plus avancée que la question de la Pologne.La Yougoslavie devant se former autour du Royaume de Serbie, ce foyer éprouvé de la résistance contre la poussée germanique, sur les bases établies par le manifeste de Corfou, il eût été préférable, précisément pour des raisons de tactique, d'employer un langage plus clair et plus ferme. Au moment où les seigneurs magyars s'apprétent à s'approprier tout simplement la BosnieHerzégovine et la Dalmatie, en appelant cela avec un cynisme inoui, la « solution » de la question yougoslave, la déclaration de Versailles aurait dû rappeler l'acte de Corfou, pour indiquer que la liberté des Yougoslaves promise par les Alliés, n'aura rien à faire avec la

Monarchie des Habsbourg.

Les intrigues autrichiennes ‘et la déclaration de Versailles

Ta «Neue freie Presse», le journal le plus perfide de la Monarchie, a saisi la formule un peu vague des déclarations du Conseil de guerre de Versailles pour äintriguer contre les Alliés, Voici ce qu'il écrit dans son numéro du 11 Juin dans un article intitulé: « Une douche froide aux créateurs d'Etats tchèque gt yougoslave » :

« L'édifice d'illusions et d'imagination vient de s’écrouler. Les Russes vont venir et les Français nous porteront secours, est ainsi que l'on se disait à Prague ces derniers Jours. Ce refrain se perdra maintenant.

Lcusque l’empereur Nicolas régnait sur la Russie, l'Entente écrivit au Président Wilson,

dans la réponse à la note de paix allemande, welle se proposait de délivrer les Italiens, les Slaves, les Roumains el les Tchéco-Slovaques de la domination, étrangère. Cette déclaration: a tourné la tête à un grand nombre de gens, en les attirant dans L& courant d'une politique confuse et dangereuse, Le mot délivrance était un simple mirage. Des. millions de ‘Tchèques le savaient fort bien mais, séduits par les gens qui pesaieini sur le peuple comme un mauvais génie, flattés par le fait que quatre grandes puissances s'occupaient de la Bohême, égarés aussi par le mimétisme qui s’est si souvent manifesté chez les Ichèques, ils ont commencé à croire eux aussi à un joug allemand. La note de lEntente au Président Wilson. est devenue un nouvel évangile pour les Tchèques, plus important que leur ancien droit d'Etat. La Bohême — un but de guerre, une question européenne! JL est étonnant en elfet, que l’on n'ait pas encore érigé sur les ponts de Prague un monument em CommémIration de la note de l'Entente au Président Wilson.

La délivrance de la domination étrangère a fini par devenir la sympathie pour les! aspirations malionales tchèques £t yougoslaves. Des sympathies, tout le monde peul en avoir, sans bouger pour cela de sa chambre et sans être chligé de remporter des victoires. Et

La dégringolade de la délivrance jusqu'à la simple sympathie est une des plus dures déceptiens pour les Tchèques et les Yougoslaves. La Bohême n’est plus un but de guerre, les Tchèques ne sont plus une Es européenne, @t quan aux Yougoslaves, l’Entente s'en désintéresse. La sympathie, c’est une politesse et l'Entente n& pouvait pas mins dire pour un but de guerre qu'elle vient de mettre à la retraite.

Le mot de délivrance a attiré, et beaucoup de jeunes gens ont payé cher eetle fantaisie: Ts voulaient être eux aussi des libérateurs. La démence a été si grande que les députés au Parlement autrichien ‘ont déclaré ouvertement qu'ils se désintéressaient des questions intérieures parce, que l'avenir du pays sera décidé à la conférence de la paix avec l’aide de l'Entente. La note de l'Entente au président Wilson était le peint central de leur politique, de leurs pensées & de leurs espérances. Des pourparlers avec des partis allemands en vue d'un accord furent rejetés, dans la “ensée qu'après la paix toula Concession aux aomands serait superilue. Dans les conversations confidentielles, on se disait: l'En:tente nous donnera davantage. Elle donne des sympathies. La sympathie, les Slaves pouvaient la tfouver aussi chez le Ministre-Président autrichien M. Seidler. » À

Cet article de Ja « Neue Freiïe Presse » devrai servir d'avertissement aux diplomates alliés afin d'éviter à l'avenir des formules prêtant à l'équivoque. à

rence qu'un

Genève, Samedi 22 Juin 1918

Suisse....... 6 fr. — par an ABONNEMENT } à

Autres pays. Sfr. — » È

Après la publication du mémoire du prince Lichnowsky et les témoignages suggestifs du Dr W. Mühlon — voir surtout le livre récent du Dr Mählon « La dévastation de l'Europe »

(Die Verheeung Europa's. — Zurich, Orelli-

Fuÿsli Verlag) la question de la culpabilité semavoir perdu de l'actualité. Il faut étre en

ble

effet aveugle pour ne pas voir où se trouvent les

“auteurs du plus grand crime que l'Humanité

ail connu. On trouve en effet dans les notes du Dr Mühlon non pas seulement des preuves concrèles, mais encore,et ceci ést très important, il s'en dégage un tableau effrayant de l'état psychologique des classes dirigeantes d’ Allemagne et d’Autriche-Hongrie. Quant à cette dernière, que le Dr Mühlon qualifie de « coupable

principal », les mots « das veraltete, harte,

selbsisüchtige Staatengebilde Oesterreichs » ne sont pas assez forts pour flétrir sa prémédilation. ;

La Serbie accusée si injustement d’avoir provodué la guerre, a eu la belle satisfaction de voir les Allemands honnêtes la défendre contre un ennemi malveillant. Il est intéressant cependaht d'enregisirer à ce sujet la conversion d'un historien magyar, Heinrich Marczali, qui à l'instar de ses compatrioles hongrois n'avait pas cessé d'’injurier les Serbes et qui aujourd'hui semble être revenu à d’autres idées. Parlant du livre du germanophile par trop connu ED. Morel: Truth and the war (London, Nätional Labour Press) M. Marczali n’a pu

cacher sa grande joie de voir un Anglais embrasser la thèse allemande. Dans un long article publié dans le .« Pester Lloyd » du 18 mai, Marczali passe en revue les arguments de Morel qui se résument tous dans la conclusion que l'Allemaghe et l'Autriche-Hongrie, loin d'être agresseurs, ont élé altaquées et qu’elles ont élé obligées de prendre les armes pour se défendre !

On sait que les Austro-Magyaro-Allemands, dans leur recherche des « coupables », ont changé plusieurs fois d'idée. D'abord, c'était la Serbie, après c’est la Russie, ensuile c'est l'Angleterre ou bien la France qui a provoqué la guerre. Chaque fois qu'une occasion se présente de blanchir les puissances centrales, le chorus germano-touranien s’exclame : « Voila, ce sont les vrais coupables. Ce sont eux qui ont déchaïné la guerre !» Ce spectacle va en se répélant indéfiniment. Le livre de Morel a fourni lui aussi un prétexte à l'historien Marczali d'abandonner les thèses antérieures sur les dangers serbe, russe, panslavisle, elc., et d’atlaquer la Grande-Bretagne, la grande coupable, la seule coupable! Voici ce que Marczali dit textuellement : « La vérilable cause de la guerre, ce n’est pas l'Al sace-Lorraine, ni la Serbie, ni la question de la Pologne, mais le conflit et la rupture inévitables entre l'Allemagne et l'Angleterre. »

Jusqu'à nouvel avis, l'historien magyar Marczali ne considèrera plus la Serbie comme l'Etat qui a provoqué la guerre. Îl n’est pas inutile d’en prendre acte.

La Macédoine etles prétentions bulgares

Ée distingué publiciste suisse, M. le Dr V. Kuhne, privat-docent à l'Université de Genève, vient de répondre(1) à M. E. Kupler, professeur au Collège de Morges, qui s’est improvisé défenseur des prétentions bulgares en publiant récemment un opuscule intitulé: « La Macédoine et les Bulgares » Comme l'a justement remarqué M. Kuhne, l’œuvre de M. Kupfer ne différerait guère des autres ouvrages de propagande bulgares, n'étaient son langage courtois et mesuré, son style sobre et l'apparence de méthode scientifique, avec laquelle l'auteur étaye sa démonstration. Bref, M. Kupfer, selon M. Kuhne, « n’a fait qu'accommoder à la sauce helvétique et neutrale », les arguments d'Ischirkoff qu’on retrouve dans tous les écrits des propagandistes bulgares. À défaut d'arguments nouveaux, M. Kupfer a prêté à la cause bulgare son nom et sa qualité de publiciste et « savant » neutre.

M. Kuhne, l’auteur du remarquable ouvrage « Les Bulgares peints par eux-mêmes » el qui est sans contesle dans Bon. pays le meilleur connaisseur des choses balkaniques, n’a pas eu grand’peine à prour ver l'inanité de la thèse de M. Kupier. Érudit comme il Pest, M. Kuhne connaît à (fond les prétentions bulgares et il n’ignore point sur quelles bases ces prétentions ont été édifiées et par quelle argumentation baroque on essaye à les rendre légitimes. C'est pourquoi, au lieu de s'attaquer à M. Kupier, qui ne représente en l'occurhomme de paille, il soumet à une analyse profonde et détaillée, les souvces-mêmes où’ M. Kupler puisail pes arguments « scientifiques ». Il démontre comment les savants bulgares genre Ischirkoff, dont s’inspira Kupfer, mettent leur « science » au service de la politique et de la cause bulgare. Il nous montre le même {schirkoff falsifiant pour le besoin de cause, Sans aueuin scrupule, les chiffres des habitants de la Dobroudja, et se contredisant dans Ses propres écrits. D’après le pseudo-savant bulgare le noïnbre des Bulgares dans la Dobroudia augmente ou diminue selon les événements politiques et selon le caractère ethnique de l'occupant. :

Comme l’a bien observé M. Kuhne, celte falsification seule suffirait pour « classer » un savani.

M. Kupier, qui, lui science au service de

aussi, A mis Sa Ja cause bulgare,

1 M. le Dr. Victor KUHKNE : Prétentions bulgares, — (Genève, Georg & Cie).

La Macédoine. 1918, librairie

n'a pas même l’excuse que ses confrères de Sofia pourraient faire valoir, celle de travailler pour sa patrie en trahissant la science. Bien au contraire, en sa qualité de Suisse, il est en très mauvaise posture en servant à ses compatrioles des « vérités bulgares », comme des vérités indiscutables. Car le peuple bulgare, moins qu'aucun autre, mériterait d’être soutenu dans ses prétentions impérialistes par un Suisse; les Bulgares n'étant pas respectueux des droits des autres, n'ont aucun titre à la sympathie du peuple helvétique. Aucun des belligérants n’a montré du rant cetle guerre plus de mépris pour les devoirs élémentaires qui incombent à un peuple civilisé L'acharnement qu'ils

ont mis à détruire la liberté et la conscience nationale dans les régions envahies, les persécutions et l’exlermination des peuples voisins sont au-

homme de conscience de parler des prétendus « droits » des Bulgares. Il est plus que surprenant que « l’éminent pédagogue » de Morges n'ait été davantage frappé par les Serbie orientale jet en Macédoine serbe ni par les attentats contre la culture nationale. La chasse aux instituteurs el

aux prêtres, la destruction des bibliothè-

ques et des livres, la’ fermeture des écoles et autres procédés de dénationalisation n’ont pas autrement ému « l'éminent pédagogue » de Morges. Loin de le voir protester contre ces procédés qui révoltent jusqu'à nos ennemis, on le voit sour cieux des prétentions d’un peuple assoiffé de conquêtes.

Heureusement, M. Kupfer, loin d'atteindre son but, n’a fait que provoruer une discussion qui a mis mal en point lui et ses protégés les Bulgares. Il a donné à M. Kuhne une excellente occasion de montrer les procédés dont usent les Bulgares pour falsifier la eonscience nationale en Macédoine serbe el en Serbie orientale. La population, dans ces régions, wa qu'à choisir entre labandon de ‘sa nationalité el l’exterminalion complète. Tous les moyens de dénationalisation forcée y sont employés.

Le passage suivant, extrait d'une circulaire datée du 10 octobre 1917, adressée par le ministre de l'Intérieur aux préfets de Macédoine occupée, jette une lumière. crue sur ces procédés: «Il appartient aux organes de l'Administration de purifier les provinces macédoniennes de tout élément étranger, y créant ainsi une atmosphère essentiellement bulgare, même au risque du dépeuplement complet de ces contrées. ».