Le Monténégro contemporain : ouvrage orné d'une carte et de dix gravures

292 LE MONTÉNÉGRO CONTEMPORAIN.

Après ce dernier pas périlleux, quelques minutes suffisent pour atteindre la petite chapelle qui renferme le tombeau de Pierre Il’, et l'extrémité même de la crête de la montagne, aboutissant à un effroyable précipice. Mais ici le touriste va se trouver complétement dédommagé des fatiques du voyage par la vue de l’un des plus curieux panoramas qu'il soit donné à l'homme de contempler. D'un côté, c'est l'Adriatique, déroulant ses flots bleus jusqu'aux rives d'Italie, puis les G'rbaï Zupa, les Bouches de Cattaro et le repaire des Krivosije; de l'autre, la Tsernagore tout entière, véritable océan de rochers, semés pêle-mêle et au hasard par un génie capricieux, et, comme la dit M. Marmier des écucils de l'Adriatique, « ressemblant à des vagues qui, dans leur mouvement, auraient été pétrifiées. » Plus loin, ce sont les Berda, se détachant sur un fond grisâtre et sauvage où, du Kom au Dormitor, l'œil ne suit qu'une longue dentelure de crêtes montagneuses. On devra redescendre à pied jusqu’à la fontaine, et, tandis que les guides feront rôtir le traditionnel mouton des festins champêtres du Lovchen, on visitera, dans le ravissant vallon qu'enserre la forêt, les ruines du monastère construit par Pierre IL. C'est là qu'il venait chaque été passer quelques mois dans la solitude, au sein de cette nature tourmentée par les cafaclysmes, comme son âme l'était par le génie, et bien faite pour élever jusqu'au sublime l'inspiration de ce poëte, à la fois évêque ef prince, qui, incompris des siens et presque ignoré du

1 Il avait expressément recommandé que ses restes fussent transportés au Lovcheu, pour que sa mortelle dépouille pût y reposer en paix entre le ciel et sa chère Tsernagore.