Le pacte de famine, histoire, légende : histoire du blé en France

PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE VII 51

de la capitale jusqu'à la moisson. Sans ces précautions, sans ces mesures, je ne concois pas comment on peut vous laisser dans la tranquillité sur les subsistances de la capitale. Par l’effet, au contraire, de la liberté que vous accordez à tout ce qui peut arriver à Paris, il résulte que tout ce que j'ai cherché à assurer pour l’appro+ visionnement des marchés des environs sera apporté à Paris, non peut-être pour y être vendu à la halle, ce qui, alors, seroit d’un médiocre inconvénient, mais pour y être resserre chez les boulansers ou dans d’autres greniers, et y attendre un renchérissement plus fort de la denrée.

« Alors les marchés des environs se trouveront vides ; le peuple de la campagne, au désespoir, pillera les fermiers, les meuniers, les châteaux. On arrivera en foule à Paris pour y demander du pain ; les moulins destinés à l'approvisionnement de Paris, pillés ou près de l’être, s’arrêteront ; les arrivages de Paris cessant, et le peuple de la campagne y affluant de tous les côtés, l’effroi montera au comble et je doute qu'aucune force quelconque puisse arrêter les désordres.

« Pardon, Monsieur, de vous prèsenter des idées aussi sinistres, mais j'ai déjà prévu et malheureusement mes idées noires se sont réalisées. Déjà on n’apporte plus au marché de Choisy ; j'y envoie de Paris des grains ; le marché de Montlhéri ne conserve un peu de tranquillité qu'au moyen de 100 cavaliers qui contiennent le peuple, et d’une grande quantité de grains que j'y envoie chaque semaine. Depuis la semaine dernière je suis obligé d’en faire autant pour Arpajon et Palaiseau. Le marché de Gonesse, Le plus considérable des environs de Paris, est prêt à manquer. M. de Machault, en me priant d'y envoyer des grains, m’annonce tous les malheurs que je vous expose. Le marché de Lagny a été pillé deux fois malgré la maréchaussée et les troupes qui y sont. Les officiers de police sont dans la crainte et n’osent se présenter aux marchés. La maréchaussée ne sait plus que faire ; les troupes mollissent.

« Je viens de vous exposer, Monsieur, avec toute vérité la triste position où nous sommes. Le zèle ne manque pas; je suis prêt à tout de ma personne; mais je n’ai plus de moyens. C’est à vous de m'en fournir; commandez, éclairez-moi et j'exécuterai avec l’ardeur que doit m'inspirer l'importance de l’objet et le désir de seconder vos bonnes intentions. »

Le lendemain, 19 mai, Necker répondait à Bertier : « Je reçois, Monsieur, la lettre que vous m'avez écrite le 18 mai, en suite d’une