Les fêtes et les chants de la révolution française

XXXIV PRÉFACE.

Les hasards d’un voyage de vacances m'avaient amené dans le canton d’Appenzel le jour où la Suisse célébrait le sixième centenaire de son indépendance. Digne sujet de fête nationale, assurément. Le soir, les paysans allumèrent des feux de joie sur les montagnes. Attiré par les flammes qui resplendissaient dans la nuit, je gravis une côte en haut de laquelle on voyait s’agiter la foule du peuple. En montant, il me semblait percevoir des bouffées d'harmonie venant du point où flambait la lumière; en effet, je distinguai bientôt des accords : c'étaient quelques voix d'hommes, dix ou douze au plus, chantant en chœur, à quatre parties, de mémoire; et quand je fus assez près pour percevoir des paroles, je compris qu'ils disaient un chant patriotique. Les simples accords du lied se déroulaient sans hâte, soutenant une mélodie d’un sentiment naïf et calme, et les mots : Vaterland, mein liebes Vaterland! « Patrie, ma chère patrie! » revenaient aux refrains. L'impression qui s’en dégageait, charmante dès l’abord, finissait par devenir émouvante, par l’effet de la ferveur qu'on sentait vibrer au fond de ce chant collectif.

Mais, en l’entendant, je faisais un triste retour : quand donc, me disais-je, entendrai-je aussi nos paysans de France se réunir sans apprèt, et chanter de beaux chœurs en l’honneur de la patrie ?

Qu'on ne s’y trompe pas : il ne s’agit pas simplement de chansons, mais de la communion des âmes, représentée par l’unisson des voix.

Bien que ce livre soit essentiellement une étude d’art, je ne crains pas de sortir des limites qui lui sont assignées pour entrer dans des considérations plus générales, car celles-ci dominent entièrement le sujet. La situation est telle aujourd’hui qu'elle impose à tous de nouveaux devoirs. La séparation des Églises et de l’État, en rendant mutuellement indépendantes les institutions religieuses et les institutions civiles, a imposé à celles-ci l'obligation de se suflire pour donner aux âmes leur réconfort. Que ce ne soit pas en formant des rêves mystiques qu'on y parviendra, rien n'est plus assuré. Cependant il est de certaines apparences, de certains symboles, auxquels il