Les hommes de la Révolution
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vrai; mais il savait qu'il était esclave, parce qu'on ne le lui dissimulait pas et que ses officiers n'oubliaient rien pour le lui rappeler sans cesse; la distance immense qu'il y avait entre eux et lui lui faisait sentir trop vivement son avilissement. «Il en résulta, en 1789, que le soldat embrassa la cause populaire bien moins par amour pour la liberté et l'égalité, dont il ne pouvait avoir alors qu’une idée confuse, que par la haine invétérée qu'il portait à ses officiers; haine dont l’explosion fut d'autant plus terrible; qu'elle avait été longtemps comprimée...
«Aujourd'hui, tout est différent, excepté dans les grades supérieurs seulement ; la presque totalité des officiers se compose de ci-devants soldats qui n'ont que leur solde pour vivre, laquelle se réduit pour un chef de bataillon à environ huit sous effectifs par jour; ce qui oblige la plupart des officiers, capitaines et autres à manger à la gamelle de leurs soldats et conséquemment à contracter avec eux la plus intime familiarité..
« Quant aux soldats, en général, ce ne sont plus les brûlants défenseurs de la liberté de 1792 et 1793; la moyenne partie de ces braves est restée au champ de l'honneur! la masse de ceux restant est composée de campagnards, réquisitionnaires, qui servent la liberté comme les forçats servent sur les galères. Dans un bataillon de quatre cents hommes, on à peine, souvent, à trouver quarante soldats qui sachent un peu. lire et écrire. Les jeunes gens des villes, un peu instruïts, ont presque tous trouvé des ‘moyens pour se soustraire des troupes. L'unique objet des vœux de la plupart