Les hommes de la Révolution
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jusqu’à l’'Odéon; la cavalerie se place au PontNeuf, sur la place du Théâtre; six mille hommes sont disposés à l'entrée des faubourgs Saiïnt-Antoine et Saïint-Marcel.
Tout cela contre un pauvre petit journaliste. Voilà de quoi confondre ceux qui prétendent que Marat n'exerçait aucune influence sur le peuple. Le résultat de cette équipée fut que Marat s’enfuit pendant que le sieur Carle pénétrait chez lui, l'épée à la main. Laïissons la parole à l'Ami du Peuple:
« Je n'ai jamais eu plus de sang-froid qu’au milieu des dangers imminents. Ne voulant pas sortir en désordre de peur d’éveiller les soupçons, je fis toilette. Je passai une redingote, je me couvris d'un chapeau rond, je pris un air riant, et me voilà parti, gagnant le Gros-Caïllou à travers un détachement de la garde envoyé pour m'’enlever. Chemin faisant, j'avais cherché à distraire mon compagnon et je conservais ma bonne humeur jusque vers cinq heures du soir, heure à laquelle j'attendais l'épreuve de la feuille où je rendaïis compte de la fameuse équipée. Personne ne vint, je pressentis le coup qui me menaçait: le reste de la journée se passa dans la tristesse. On avait eu vent de la route que j'avais tenue. Dans la soirée, la maison fut investie par des espions. Je les reconnus à travers une jalousie. On me proposait de me sauver par les toits à l'entrée de la nuit. Je passai au milieu d'eux en plein jour, donnant le bras à une jeune personne et marchant à pas comptés. Lorsque la nuit fut arrivée, je me rendis au grand bassin du Luxembourg; deux amis m'y attendaient. Ils devaient me con-