Lord Castlereagh et la politique extérieur de l'Angleterre de 1812 à 1822

56 LORD CASTLEREAGH ET LA SECONDE RESTAURATION.

Le duc de Wellington avait été nommé ambassadeur à Paris (1). Ce choix de l’homme de guerre qui avait peut-être porté les plus rudes coups à la France dans la lutte à peine terminée peut sembler singulier aujourd’hui : dans la disposition où étaient les esprits, il n’avait rien que de naturel. Le duc de Wellington était un de nos libérateurs, comme on disait alors. On sait l'accueil fait à ses troupes dans nos départemens du midi. La faveur qu’on leur avait témoignée dans cette partie de la France, elles l’eussent trouvée à Paris même, si on les y eût conduites. On avait eu d’abord la pensée, au moment où elles quittèrent notre territoire pour retourner en Angleterre, de les faire embarquer dans les ports de la Manche afin de leur épargner une longue traversée, et lord Castlereagh, expliquant à lord Liverpool les avantages de cet itinéraire, avait pu, par une plaisanterie dédaigneuse qui exprimait au fond une vérité, mettre au nombre de ces avantages celui de donner aux Parisiens un spectacle qui ferait leurs délices. La modération du duc de Wellington et la scrupuleuse rectitude de son esprit lui donnaient d’ailleurs, pour le poste qu’on venait de lui confier, une aptitude plus positive que celle qui résultait d’un engouement passager de l’esprit français, sujet à tant de variations.

Lord Castlereagh le chargea de traiter sans retard avec le cabinet des Tuileries deux questions auxquelles l'Angleterre prenait le plus vif intérêt : celle des rapports commerciaux à établir entre les deux états, et celle de la suppression de la traite des noirs. Sur le premier point, il dut bientôt reconnaître qu’il n’y avait rien à faire en ce moment; bien que les opinions personnelles de M. de Talleyrand et de quelques autres ministres français fussent assez favorables aux principes de la liberté commerciale, le sentiment public y était fort contraire, et il pouvait s’appuyer alors sur la nécessité d'assurer une protection suffisante aux nombreux établissemens industriels tout récemment créés à l'abri du blocus continental. M. de Talleyrand ayant témoigné le désir d’ajourner jusqu’à la fin de la session des chambres, alors réunies, ce qu’il était possible de tenter à ce sujet, le cabinet de Londres n’insista pas. La question de la traite devint au contraire l’objet d’une négociation assez active.

Cette question était alors appréciée bien diversement dans les deux pays, et elle donnait lieu en France à d’étranges malentendus. Il n’y avait pas plus de huit ans que la traite avait été abolie en Angleterre. Les hommes de bien, les politiques à vues élevées qui

(1) Les dépêches du duc de Wellington, publiées il y a quelques années, m’ont fourni quelques matériaux pour compléter et éclaircir les informations contenues dans la correspondance de lord Castlereagh par rapport aux années 1814 et 1815.