Mémoires sur Naigeon et accessoirement sur Sylvain Maréchal et Dalalande : lu à l'Académie des sciences morales et politiques

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sollicitude et en crainte quiconque livre au monde quelques-unes de ces pensées destinées à occuper et à entraîner les intelligences. La grandeur y fût-elle, et la nouveauté et la fécondité et l'apparente rigueur, et des parties du génie, s'il y manque la sagesse, le juste sens du vrai, la modération et la règle, des exemples tels que ceux que nous venons d'avoir sous les yeux, laissent trop prévoir à quelles extrémités elles peuvent être poussées en passant des mains de leurs premiers auteurs, qui les traitent encore avec certains ménagements, à celles de téméraires qui n’y apportent plus ni respect ni mesure.

C'est là une solidarité à laquelle les meilleurs, les plus nobles, les plus puissants esprits n’ont pas toujours échappé, à plus forte raison ceux que leurs prmcipes devaient moins en préserver. Seraït-ce trop dire que de nos jours, cette fàcheuse expérience, à peine achevée parmi nous, s’est renouvelée chez nos voisins et que là aussi, de grands noms, malgré les plus généreuses intentions et les plus savantes combinaisons , ont été trahis par les leurs, dans les côtés défaillants de leurs doctrines philosophiques, jusqu'aux plus hasardeuses et aux plus étranges témérités.

Pour que de tels enseignements aient leur vertu et leur usage, il est nécessaire de se les remettre de loin en loin en mémoire, fût-ce même au prix de quelques dégoûts; et voilà précisément ce qui m'a soutenu dans la tâche fort peu atirayante, on m'en croira , que j'ai entreprise par raison, et «que je viens d'achever par constance; j'ai espéré qu’en revenant, non pour les exhiber avec une sorte de complaisance, mais pour les montrer du doigt et les stigmatiser, sur ces pauvretés et ces grossièretés aujourd’hui bien oubliées, mais