Musique exécutée aux fêtes nationales de la Révolution française : chant, choeurs et orchestre

INVOCATION

M. J. CHÉNIER — GOSSEC

Ce morceau, composé sur les deux dernières strophes de l'hymne précédent, est complètement inédit, et même sans la coïncidence des textes, il nous eut été impossible d'en désigner les auteurs, attendu que leur nom fait défaut sur les parties séparées manuscrites qui nous ont permis de le reconstituer.

Inutile, par conséquent, de dire que les écrivains du temps ne nous ont laissé à son sujet aucun détail précis. ei encore nous en sommes réduit aux conjectures.

Selon toute apparence, cette invocation, qui comporte tous les éléments de l’orchestre dramatique et symphonique de l’époque — instruments à cordes et à vent — a été exécutée par le personnel de l'Opéra, lors de la station qui cui lieu devant le théâtre, le jour de la translation de Voltaire au Panthéon.

À première vue, ce morceau laisse une impression hésitante, mais après examen, on constate qu'il renferme de curieuses recherches harmoniques et orchestrales présentant un vif intérêt musical, bien’ qu'il ait été composé à la hâte. Le style en a vieilli certainement, mais il n’est pas sans valeur _— bien au contraire — et en tout cas, on sent une main très exercée.

Cette composition n’a rien de sévère quant à l'allure générale, qui n'est nullement d’un caractère religieux, comme le titre le ferait supposer. Elle débute par un prélude instrumental de 45 mesures, dont le motif initial de 4 mesures est d’abord exposé par le quatuor à cordes et aussitôt doublé par l'harmonie ; puis, vient un solo de cor original, discrètement accompagné par les instruments à cordes marquant les quatre temps de la mesure, et coupé par de courtes répliques des « bois » évoquant comme un ressouvenir d'Haydn. Notons encore le dessin léger et presque sautillant des violons sur des tenues de l'harmonie et surtout, le dialogue des altos ct des violons, d’une jolie couleur, sur lequel la flûte fait entendre ses syncopes pendant que le reste de l'harmonie soutient des accords où relie les motifs entre eux par des rentrées à la tierce.

Alors entrent les voix sur un formidable accord parfait en point d'orgue : superbe explosion traduisant un appel énergique et magistral à la Divinité invoquée; puis soudain, tout s’apaise’ et le chœur continue la période en murmurant ces mots : Dieu de la liberté. L'effet est saisissant, deux fois répété, la seconde sur l'accord de dominante. Le morceau se développe ensuite en faisant revenir plusieurs motifs du prélude auxquels se mêlent des entrées successives du chœur ou des solistes, tandis que le cor reparaît aussi par instants, reproduisant sa phrase, tel un leif-motiv.

A partir du solo : Accorde-nous la paix, la trame orchestrale se modifie et l’instramentation devient de plus en plus chargée particulièrement pour les instruments à cordes — à mesure que le morceau arrive à sa péroraison. On y remarque la basse fleurie suivant un procédé cher à l’époque, exécutée d’abord par les altos et violoncelles, puis doublée à son retour, par le basson solo.

Somme toute, cette composition de Gossec est une œuvre digne d'intérêt qu'il eut été regrettable de laisser ignorée plus longtemps.

Note. — Sur la partition, nous avons respecté la notation ancienne pour les petites notes, mais nous les avons notées, sur la réduction, comme elles doivent être exécutées. La réduction reproduit presque constamment l'accompagnement d'orchestre, il faut donc avoir soin de suivre le chœur en même temps, pour avoir une idée complète de l'œuvre.