Napoléon Bonaparte, drame en six actes et en vingt-trois tableaux

22 LE MAGASIN THÉATRAL,

vise, surtout point de pillage! vous m’en répondez sur votreftète,

Me voilà donc enfin dans Moscou, dans l’antique palais des czars, dans le KremTin !... — Il était tems. — Où est Murat ?

UN MARÉCHAL. À la tête de sa cavalerie, poursuivant larrière-garde russe sur le chemin de Vladimir.

NAPOLÉON. Je l’aime ce Murat ! toujours ardent, infatigable, comme en Italie, comme en Egypte! six cents lieues et soixante combats ne l'ont point fatigué. Le voilà qui traverse Moscou au pas de course, sans s'arrêter au Kremlin, — où je m'arrête, moi Ah! que vous êtes froids, messieurs !.., savez-vous bien où nous sommes ?

BERTHIER. Oui, sire, à six cents lieues de Paris, ayec une armée diminuée de quarante mille hommes par la bataille de la Moskowa, sans vivres, sans habits, sans munitions.

NAPOLÉON. Eh bien ! ne sommes-nous pas dans la capitale ennemie? Moscou, veuve de ses trois cent mille habitans, vous paraît-elle trop étroite pour loger quatre-vingt mille hommes. Ces palais que vous partagerëez entre vous, sont-ils moins somptueusement commodes que vos hôtels du faubourg Saint-Honoré et du quai d'Orsay ? — Pour moi, j'avoue que j'aime mes Tuileries et mon Louvre ; mais pour cet hiver, je me contenterai du palais des Romanoff et des Rurik.

CRIS DANS LA RUE. Un Français! un Français!

NaPOLÉON. Entendez-vous? un Français! Faites-le venir ; que je sache quelque chose de ce-bizarre secret. — Moscou désente ! (Apercevant l’espion:) Al ! c’est toi ?

L’ESPION, Oui, sire.

NAPOLÉON. D’où sors-tu ?

xL'ESsPiON, De prison.

NAPOLÉON. De prison?

L’ESPION. J'ai été reconnu pour Français et arrêté à Moscou lorsqu'on a appris que votre majesté avait passé le Niémen.

NArOLÉON. Est-il vrai que la ville soit déserte ?

L’ESPION. J'ai vu sortir les dérniers Russes par la porte de Kolumna.

nNaPOLÉON. Âh !les Russes ne savent pas encore l’effet que produira sur eux la perte de leur capitale’ Vous l’avez entendu, messieurs ? Moscou est à nous , entièrement à nous; que chacun établisse son quartier dans la partie de la ville qui lui plaira, mais avec ordre :songez que c’est notre Paris pour cethiver. Allez, messieurs, et envoyezmoi le travail de Paris: je n’ai pas pu m'en

occuper depuis Smolensk. — À compter d’aujourd’hui, mes décrets seront datés du Kremlin. (Ts sortent. À l’espion.) Eh bien! qu’as-tu vu dans cette Russie?

L’ESPION. Un peuple âpre et dur comme sa terre, pétri pour l’esclayage, ignorant pour un siècle encore, et repoussant la civilisation , comme les autres le despotisme. NAPOLÉON. Oui, oui, et il n’en est que plus dangereux, puisque la volonté d’un seul peut remuer ces énormes masses. Malheur, malheur à l'Europe, si je ne frappe pas le colosse au cœur ! car si je le manque , qui le tuera ? Mais d’ici Je veille, sentinelle du monde civilisé | un pied sur V’Asie, un pied sur l’Europe. Enfans!..……. ils n’ont vu dans mon désir d'arriver à Moscou que la vanité dé signer un décret daté de la Ville Sainte, assis sur le trône de Rurik et abrité par la croix d’or du grand Iwan... — Dieu me donne le tems et la force, et je fais de Moscou une des portes d'entrée de mon roÿaume européen! J’appelle d'ici l'univers à la civilisation, comme le muezzin appelle du haut des minarets les mahométans à la prière. Et alors, (regardant autour de lui) quelle voix s’élèvera pour dire : « Napoléon n’est pas l’envoyé de Dieu ? » — Et quand je pense que je pouvais ne pas atteindre cette Moscou, être arrêté par une fièvre, une chute de cheval, un boulet, —et qu’alors on eût cru cette vaste combinaison une guerre ordinaire, une querelle d’empereur à empereur, un vulgaire envahissement de terrain!.…

L’ESPION. O Napoléon! Napoléon! ce n'est pas moi, du moins , que tu accuseras de ne pas te comprendre.

NAPOLÉON. Non, non, je le sais, et je te rends justice. Mais, va; voici le portefeuille de Paris et mon ministre qui vient travailler avec moi.

(Le duc de Bassano vient travailler avec l’empereur.) À 000000009000000000000000000000000PO80COCCS

SCENE VIIL.

NAPOLÉON, LE MINISTRE, puis MORTIER , MURAT ex Les AUTRES MARÉ-

cHaux. |

NAPOLÉON. Avez-vous dressé les trois décrets que je vous ai demandés ?

LE MINISTRE. Oui, sire.

NAPOLÉON. Voyons , quel est celui-ci?

LE MINISTRE. Il est relatif aux maisons de prêt actuellement existantes dans la ville de Florence.