Souvenirs de Russie 1783-1798 : extraits de journal de Mme Leinhardt

SOUVENIRS DE RUSSIE 63

le serment, de sorte qu'il y a toute apparence qu'on m'a oubliée. Cependant je n'ose plus écrire en Suisse, crainte d'inconvénients. » Le 28 juin, elle est encore à Saint-Pétersbourg et elle écrit : « J'ai eu beaucoup de peine tous ces jours à parvenir à faire mes affaires et particulièrement à me procurer un passe-port, article qui, tous les jours, devient plus difficile, car, étant obligée de me rendre au palais du gouvernement, on a vu par mes papiers que j'étais Suisse et que je n'avais pas prêté le serment que, par parenthèse, on ne m'avait point demandé. On m'a traînée d'un jour à l’autre et l’on a fini par me donner un passe-port qui disait que, n'ayant pas voulu prêter le serment exigé, je devais partir sans délai. J'aurais bien pu en appeler de ce jugement précipité, car certainement une personne qui avait passé quinze années dans une famille honorable, et qui, n'ayant plus rien à faire en Russie, retournait tout bonnement dans sa patrie, n'était pas dans le cas d'être renvoyée de cette manière. Mais après avoir envoyé neuf fois pour avoir ce passeport, je me décidai à le prendre tel qu'il était et c'est peut-être la première fois qu'une personne qui, pendant quinze jours, se donne beaucoup de peine pour obtenir un passe-port, en reçoit un à la fin qui lui enjoint de partir sans délai. Je me contentai seulement d'aller chez le ministre de Prusse qui me donna gracieusement un passe-port pour ma route, ne voulant me servir de celui de Russie que pour en sortir et rentrer en Suisse. »

Le surlendemain, Mie L. est encore là. « Je m'étais proposé, écrit-elle, de partir aujourd'hui à midi, mais j'ai appris de très grand matin en me levant qu'il me restait encore plusieurs formalités à remplir qui me retiendraient jusqu'à la nuit. Désolée, devant encore me rendre en personne à la police, j'ai diné de bonne heure. J'étais à peu près insensible aux ridicules questions que l’on m'a faites. »

Cependant, ce jour même, 30 juin, elle quittait Saint-Pétersbourg à minuit et entreprenait le voyage qui, au bout de deux mois, devait la ramener sur les rives fortunées du Léman. Le 10 août, elle débarquait à Vevey, au milieu des siens. Elle ne devait plus quitter cette ville où elle mourut en 1805, à l’âge de 58 ans, et en laissant un souvenir toujours vivant de sa grande bienfaisance 1.

1. Le volumineux Journal inédit de M'e Lienhardt est déposé à Vevey, au musée Ienisch, où toute personne qui en éprouverait le désir pourra le consulter.

MACON, PROTAT FRÈRES, IMPRIMEURS,