Souvenirs militaires d'Octave Levavasseur, officier d'artillerie, aide-de-camp du maréchal Ney (1802-1815) : un officier d'état-major sous le 1er Empire

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ché et recommençait la fusillade, ils vinrent se briser contre les piles en bois du pont : la moitié d’entre eux périt. Les autres s’accrochèrent aux piles et, après une canonnade d’un quart d'heure pour éloigner l’ennemi, je fis détacher mes prolonges, à l’aide desquelles on retira ces pauvres soldats. Malgré la perte que nous avions faite de ces malheureux dragons, on ne retrouva pas moins sur-le-champ d’autres hommes qui parvinrent enfin à aller chercher les bateaux nécessaires pour rétablir le passage.

Le pont étant réparé, nous traversâmes les premiers ; l’armée entière suivit, et nous ne tardâmes pas à arriver à Enns (1). Là, se trouvaient encore une rivière, un pont coupé, les Autrichiens et Kutuzow par derrière. Je mis en batterie sous la gauche du pont, près d’une éminence, et nous attendîmes, sans brûler une amorce, que le pont fût rétabli.

J'avais, parmi les hommes de ma batterie, des canonniers pointeurs d’un rare mérite pour juger les distances et le degré de hausse à donner au canon. De loin, nous vîmes des officiers autrichiens venir en reconnaissance; mes canonniers s’amusaient à les pointer : arriva Murat à cheval. Un de mes canonniers, désirant montrer son adresse, me dit tout bas : « Mon commandant, je

(1) De fait, l’armée passa l’Enns en deux points, à Enns et en amont à Steyer, ne trouvant que des arrière-gardes autrichiennes pour défendre les passages. (Note de l'éditeur.)