Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

16 GHAPITRE PREMIER.

que sa santé lui rendait impossible l'usage du cheval. Ses ennemis ont raconté depuis qu'il avait dû quitter son régiment, après une provocation en duel à laquelle il avait refusé de répondre (1). Il a su si bien, depuis, éviter toute occasion de tirer l'épée qu’on doit accorder quelque créance à cette accusation.

Il aurait donc, dans des circonstances fâcheuses, et de bon cœur quand même, dit à l'état militaire un adieu que sa famille trouvait prématuré : « Vous ne voulez du service que par acquit, lui disait son oncle et tuteur Saint-Priest; soit que vous vous négligiez dans votre métier, soit que vous l’abandonniez, vous perdrez toute considération dans le monde, parce qu'il n’y en a pas pour qui ne tient à rien. Vous croyez que l'esprit, les belles-lettres suppléent à cela, et vous vous trompez (2).»

Dans sa jeunesse, d'Antraigues eût encore fait meilleure figure à Versailles qu’à l’armée. Son nom était connu de longue date dans le monde de la Cour. Un des compagnons de guerre de Henri IV, et deux favorites célèbres, la marquise de Verneuil et la duchesse de Phalaris, l'avaient porté; mais le comte de Launai d’Antraigues, bien qu'il montrât à l’occasion une généalogie remontant en ligne directe à l'an 1300, ne pouvait se

(4) « J'ignorais que M. d'A... avait servi dans son régiment (du baron de Talleyrand); j'ignorais que son amour pour les belles-lettres, joint à une terreur invincible qu'il a toujours éprouvée à l'aspect d’une épée hors du fourreau, l'avaient forcé de quitter le service pour philosopher sans danger dans le château de ses pères... » (Froxenr, Précis de mes opérations, ete., p. 5455, T4. — Cf. Mowrearrrann, Mémoires secrets, p. 8%.)

(2) Saint-Priest à d'Antraigues, 8 février 1777. — Les lettres de Saint-Priest à son neveu, au nombre de plus de cent (A. F., France, vol. 642), constituent une des sources les plus importantes pour la biographie de d'Antraigues.