Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

22 CHAPITRE PREMIER.

à ses heures le bon mot précieux et satirique, comme ce jugement, cité par d’Antraigues, sur l’ambassadeur anglais Ainslie : « Son esprit est à cheval sur son caractère, à peu près comme un bon écuyer sur une rosse. » Le prince de Ligne n’eût pas dit mieux (1).

Grâce à cette rouée d'Orient, l’ami de Rousseau put visiter Constantinople à fond et en tous sens. Il parcourut les bazars, les bains publics, les bibliothèques, et pénétra sous un déguisement dans les lieux interdits à cette époque aux chrétiens, tels que les mosquées et les jardins du sérail. Il eut le spectacle de Sainte-Sophie illuminée pendant les nuits du Ramazan, et fut initié, autant qu'un Européen pouvait l'être, aux honteux secrets du harem impérial.

Avant la fin del’année, notre voyageur, ayant rassasié sa curiosité à Constantinople, la porta en Égypte. D'Alexandrie au Caire, du Caire à Suez et au Sinaï, il la dispersa sans l’épuiser, auprès des pachas qui gouvernaient le pays et dont il eut audience; sur le Nil, qu'il remonta en bateau jusqu'à Antinoopolis, et où il fut arrêté par des partis armés, sans pouvoir atteindre Thèbes; dans les villes et villages, qu'il parcourut en observateur attentif aux moindres détails de mœurs;

(1) D'Antraigues ne nous donne aucun renseignement sur sa famille. Il s’agit probablement de Roxane (en français Alexandrine) Rangabé, fille de Jacques Rizo-Rangabé, et arrière-petitefille de Constantin Brancovano, prince de Valachie, décapité à Constantinople en 171%. Elle avait épousé Alexandre Ghika, qui fut lui-même prince de Valachie de 1766 à 1768, et elle pouvait, par conséquent, être âgée de trente à trente-cinq ans. D'Antraigues a parlé d’elle, à mainte page de son Voyage, avec une liberté assez indiscrète, mais peut-être, par fatuité ou par désir de donner à ses récits une teinte romanesque, a-t-il inventé ou exagéré une partie des faits qu'il raconte.