Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

34 CHAPITRE PREMIER.

l'historien Robertson; il y trouva des amis chers à son cœur entre tous, dont il a souvent parlé, mais dont les noms ne sont pas venus jusqu'à nous (1).

La « sensibilité » était une des vertus essentielles du philosophe. D'Antraigues exerça la sienne un peu au hasard, et de manière à en imposer le souvenir à l’histoire. Sur ce sujet délicat, il faut entendre encore sa mère : « L’Anglaise (la duchesse de Devonshire?) faillit à vous faire devenir fou... Elle vous coûta votre argent, encore celle-là n'était pas méchante ; mais rappelez-vous Mme de Montalembert, la comtesse de B..., sans compter tout ce que j'ai ignoré. Elle vous ont fait perdre état, fortune, mariage, compromis de la manière la plus fâcheuse, rendu malade à la mort, et exposé à vous faire tuer (2). » Certaines. indications discrètes de sa correspondance le montrent, vers 1788, l'adorateur préféré d'une grande dame appartenant à la Cour et même à l'entourage familier de Marie-Antoinette, et cependant il était alors en liaison avouée avec Mme Saint-Huberty, première chanteuse de l'Opéra.

On a écrit un volume sur cette reine de théâtre, qui inspira un madrigal au lieutenant Bonaparte et personnifia un jour, aux yeux de Chateaubriand, les charmes de la célèbre et imaginaire Lucile. Née à Strasbourg, fille de musiciens ambulants, Marie-Antoinette Clavel avait êté la femme, bientôt divorcée, d'un aventurier nommé Saint-Huberty. Point belle, mais d'une physionomie fort expressive, sur la scène elle était sans rivale dans les opéras de Gluck pour l'expression de son chant, la lar-

(1) Dans une lettre de 1803, il parle de son vieil ami de trentequatre ans, milord duc de R... Il s’agit probablement du due de

Richmond (né en 173%, mort en 1806). (2) Mme d'Antraiques mère à son fils, 22 octobre 1796. (B. D.)