Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

36 CHAPITRE PREMIER.

figurait jadis dans la mansarde de Rousseau vint orner le boudoir de l'artiste. La Saint-Huberty semble avoir été sincèrement attachée à cet homme qu'elle avait dompté et qu'elle appelait : « Mon bien-aimé si tu m'obéis, ou vilain ours mal léché si tu regimbes (1). »

De fréquentes absences de part et d'autre ravivèrent la tendresse de cette liaison. D'Antraigues se retirait durant de longs mois dans ses terres, la Saint-Huberty faisait chaque aunée des tournées théâtrales en province : de là une correspondance dont les fragments conservés offrent, au moins sous la plume de Ja chanteuse, un singulicr mélange de descriptions pittoresques, d’anecdotes libres ou malignes, de nouvelles locales surtout aux approches de la Révolution, et enfin de protestations amoureuses plus câlines que tendres tantôt en francuis, tantôt en italien. De son côté, d'Antraigues était à sa maîtresse une sorte d'éducateur intellectuel. Il l’initiait volontiers et savait l'intéresser aux inventions de Montgolfier comme aux imaginations de Bernardin de SaintPierre. Les deux amants, malgré leurs invocations à la vertu copiées dans la Nouvelle Héloïse, étaient évidemment des gens de morale peu scrupuleuse. De Bordeaux ou de Metz, durant ses voyages, la Saint-Huberty ne parlait point à son adorateur préféré le langage d’Alceste ou de Pénélope, et d'Antraigues de son côté ne Supposait pas pour lui-même et pour les autres qu’une fidélité selon les convenances mondaines restt absolument inflexible. Un certain comte de Turconi, qui habitait alors Paris, paraît

(2) De Goncovrr, /a Saint-Huberty, p. 189: D'Antraigues remplit la dernière partie de ce livre. Les renseignements recueillis sur lui sont curieux, mais {rès incomplets -et parfois inexacts.