Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

38: CHAPITRE PREMIER.

co-seigneur de Vals, Mézillac, Saint-Andéol, Aïlhou, Mercuer et autres places (1). Entre ses châteaux de Castrevieille, de Bruget et de la Bastide, il habitait de préférence le dernier, véritable ermitage féodal situé près d’un hameau du même nom, sur la Bezorgue, à l'extrémité supérieure d’une gorge tortueuse et sauvage. De là, l'œil ne rencontrait que blocs de granit, monceaux de scories et de lave mal déguisés sous la verdure sombre et clairsemée des müûriers et des châtaigniers: la coupè rugueuse et ébréchée du volcan éteint d'Aizac fermait l'horizon. Au milieu de ce cirque naturel, le château s'élevait sur une sorte de promontoire formé par les dernières coulées d’un autre ancien volcan. Il dominait de ses quatre tours carrées et de ses deux ponts-levis armés de canons de parade le lit encaissé du torrent, et ses murs semblaient se prolonger sous terre avec les parois à pic, fapissées de plantes sauvages, du roc basaltique qui supportait tout l'édifice. Aujourd'hui encore, lorsque, traversant le grossier pont de pierre qui y donne accès, et longeant un reste d'avenue en pente, on arrive à l'informe amas de pierres éparses sur l'emplacement du château détruit; lorsqu'on parcourt ces terrasses croulantes sur lesquelles une pauvre filature de soie a conservêé la vie et le travail humain, on croirait visiter le repaire abandonné de quelque baron malfaisant au peuple et rebelle au roi (2).

Le châtelain du dernier siècle, malgré sa philosophie, était très attaché à certaines prérogatives qu'il tenait de

(1) J'emprunte cette nomenclature à un acte de 1776. (Arcz. dép. de l'Ardèche.)

(2) Du Boys, Album du Vivarais, pl. XXIV. Ce dessin, qui date de 1842, n’est plus absolument exact : les débris de tours encore debout alors ont disparu.