Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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s'étaient installés les professeurs et quelques invités de choix. Sa tabatière, pleine de tabac d'Espagne, était ouverte, posée à sa droite, et il y puisait incessamment de grosses prises qu'il aspirait lentement, se passant ensuite légèrement sur le visage un grand mouchoir blanc qu’il replaçait méthodiquement à côté de sa tabatière, Gaïl et le chimiste Fourcroy m'ont présenté à Delille après la séance; c’est Fourcroy, directeur général de l'instruction publique, qui présidait, en l'absence du ministre de l'intérieur. Cette séance s'était prolongée si tard, qu'il ne fallait plus songer à aller au spectacle; d'autant que le Collège de France, situé dans un des vieux quartiers de Paris, est à une grande distance des théâtres. Pour la première fois depuis mon séjour, j'ai dû me sevrer d’une représentation. Les jours d'avant, j'avais entendu à l'Opéra les Prétendus de Lemoyne (1), et vu exécuter le Jugement de Pâris, ballet de Gardel (2). Le libretto des Prétendus, accepté par l'Opéra, surtout à cause de ses récitatifs, est heureusement conçu et se prêterait à une jolie représentation, mais la partition ne répond d'aucune façon aux promesses du livret. Pastiche du style bouffe italien du temps, elle est incolore et monotone.

Le ballet m’a prouvé que, malgré le mérite des artistes de la danse, la pantomime a dégénéré sensiblement à

(1) Les Prétendus datent de 1789. — Moyne (J.-B.), dit Lemoyne, était mort en 4796. Le jugement de Reïchardt sur ses Prétendus est fondé; cette partition est restée cependant trente-cinq ans à la scène! À notre avis, ce que Lemoyne a fait de plus méritoire, c'est d'avoir préparé les débuts à Varsovie (vers 1795), où il dirigeait l'orchestre d’une troupe ambulante, de la jeune Lorraine Cécile Clavel, qui devint la fameuse Saint-Huberty.

(2) Musique dHaydn (sic) et de Plesgel (sic) — Pleyel, — arrangée par Méhul. — 5 mars 1793. — (Texte des affiches du temps.)