Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

SOUS LE CONSULAT. 467

être, au fond du cœur, eût-il souhaité que cette créature ravissante fût moins prodigue de ses talents devant le public.

Assis sur plusieurs rangs autour du salon, les auditeurs ont accordé à la musique un silence et une attention extraordinaires à Paris ; pendant les repos, les conversations ont été animées, mais pas bruyantes.

Vers une heure, on est descendu par l'escalier garni d’orangers, de fleurs et recouvert de tapis anglais, dans la salle à manger pour prendre place au souper chaud servi sur une grande table en fer à cheval. Fidèle à mes principes d’abstinence aux soupers, je me suis borné à prendre une glace, en causant musique avec Mme Moreau, qui m'avait placé à côté d'elle; j’admirais entretemps le bel appétit des Parisiennes faisant honneur avec entrain à un souper des plus substantiels. Je ne me souviens pas avoir vu, en Allemagne, ‘des femmes du monde manger et boire ainsi à un grand dîner. Un spirituel voisin de table, à qui je communiquais mon impression, répondit tout bas : « Il y a ici beaucoup de femmes de «nouveaux riches! » — « Ça suffit! » ai-je pensé. À trois heures, au moment où la société est remontée aux salons, je me suis esquivé.

Les soirées musicales, qui commencent de bonne heure, m'ont empéché, tous ces jours-ci, d'aller régulièrement au théâtre. Je n’ai assisté qu'à une partie de la seconde représentation de Proserpine: Paisiello n’aura pas à enregistrer un succès à l'Opéra! Dans les petits théâtres, j'ai vu quelques pièces de circonstance, assez pauvres; le canevas est fourni par des anecdotes sur tel ou tel homme célèbre, et les dramaturges semblent plus préoccupés de chercher des allusions au temps présent que des anecdotes intéressantes. La matière ne leur manquerait cepen-