Vergniaud : 1753-1793

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Cruelle ironie! De ces deux hommes qui viennent de se succéder à la tribune, l’un cynique, audacieux, sanguinaire sera bientôt porté en triomphe et la multitude le pleurera comme son bienfaiteur: l’autre, doux, honnête, généreux, montera sur l’échafaud et cette même multitude applaudira à son supplice en l'appelant un traître.

A-t-il donc, l'infortuné, pressenti l'avenir dans ses vains effort contre Marat et le désespoir s'est-il emparé de son âme? Non, mais sa vaste intelligence s’est reprise aujourd’hui à planer dans les rêves, et souriant avec mélancolie aux menaces du destin, il assiste indifférent au commencement du duel d’extermination qu'engagent l’une contre l’autre la Montagne et la Gironde. Pendant trois mois, il garde le silence, se bornant à demander en quelques mots l’élargissement des prisonniers du 10 août contre lesquels il n’y avait ni mandat d'arrêt ni décret d'accusation, la célébration d'une fête nationale en l'honneur de la victoire de Jemmapes et la destruction par le bourreau d’un guidon aux couleurs étrangères pris sur un émigré. Ce guidon avait été placé au manége; mais Vergniaud ne put en supporter la vue, et se levant indigné, il dit : « Vous avez suspendu aux voûtes de cette enceinte les drapeaux conquis sur le despotisme; mais ce signe de rébellion autour duquel combattaient des brigands que vous envoyez à l’échafaud, doit, comme eux, être détruit par la main du bourreau. Je demande qu'après avoir applaudi au courage de nos braves frères d'armes, vous ordonniez que ce signe de la révolte soit livré à l’exécuteur de la haute justice pour être brûlé. »

Vous le voyez, Messieurs, Vergniaud se montre toujours semblable à lui-même; ennemi de l’injustice,