Éloge de Vergniaud : discours de rentrée prononcé à l'ouverture des conférences de l'ordre des avocats de Bordeaux, le 4 janvier 1875

LE l’ancienne tradition monarchique et les idées nouvelles de liberté politique et de souveraineté nationale, qui ne pouvait ni satisfaire les exigences de l'esprit révolutionnaire, ni se faire accepter par les inquiètes rancunes d’un pouvoir si brusquement et si violemment dépouillé. Il faut ajouter aussi que les Constituants, en s’interdisant l'accès de la nouvelle Assemblée, par un désintéressement que l’on a blâmé comme une faute, mais où il entrait peut-être quelque défiance de la solidité de leur œuvre, n'avaient pas craint de livrer la France à des hommes nouveaux dont l'éducation politique était à faire.

Le temps, et les enseignements qu’il porte avec lui, en nous rendant la justice plus facile, nous en font aussi un devoir plus rigoureux. Nous étonnerons-nous que ce roi, qui n’avait pas appris à voir discuter son autorité, en la voyant tout à coup restreindre, limiter, réduire, pour ainsi dire, à une abstraction, ait conçu, en même temps qu'un profond ressentiment, le désir de reconquérir ce qu’il considérait, lui aussi, comme ses droits? Pouvait-il, sans arrière-pensée, consentir à se voir désarmé, maintenu par grâce, et comme « l’otage de l’ancien régime entre les mains de la nation ? (1) » Et lorsque ceux qu'il est habitué à voir à ses côtés, qu’il a besoin d'aimer et dont il se sait aimé, l'abandonnent sous prétexte de le servir, et vont mendier, pour soutenir sa querelle, l'appui de l'étranger, s’il hésite quelquefois, s’il se trouble, si les mesures qu'il prend se contredisent comme les vœux qu’il forme, oserons-nous le déclarer seul coupable? Ne peut-on pas dire de lui ce que Hume a dit de Charles Ier : qu'il se trouvait dans une situation où les fautes étaient irréparables, et que c’est là une situation qui ne saurait convenir à la faible nature humaine ?

Mais, Messieurs, cette justice que nous accordons à

(4) Lamartine, Histoire des Girondins, iv. Ier, S V.