Éloge de Vergniaud : discours de rentrée prononcé à l'ouverture des conférences de l'ordre des avocats de Bordeaux, le 4 janvier 1875
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il l'était : il avait le culte de l’idée et l'enthousiasme des principes. Mais cette philosophie, loin de lui dessécher le cœur, y entretenait plus vivace et plus ardent l'amour de ses semblables et de l'humanité : ce qui le distingue éminemment entre tous les hommes politiques de cette triste époque, et même entre ses amis, C'est la douceur de ses mœurs, l'horreur de la violence et du sang versé, l'abnégation de soi-même et la passion du sacrifice. Étranger à tout calcul d'intérêt personnel, et s'élevant, comme par un mouvement naturel, aux mâles sentiments et aux nobles pensées, « il avait des doctrines et point de haine, des soiïfs de gloire et point d’ambition (1). » Maintenant, que les petites intrigues et les manœuvres tortueuses de la politique aient répugné à son âme fière et droite: qu'il n'ait pas su, qu'il nait pas voulu peut-être, être le chef d'un parti à la tête duquel le plaçait son talent, cela est certain ; mais, Si nous pouvons le regretter, nous n'avons point, en vérité, : le courage de lui en faire un crime.
S'il ne connaissait ni l’égoïsme ni l'indifférence, il savait conserver, au milieu des situations les plus périlleuses, une liberté d'esprit extraordinaire, et cette tranquillité sereine que seules peuvent donner une conscience pure et une âme fortement trempée. 11 aimait passionnément le théâtre (2),
(4) Lamartine, Girondins, 1. VI, S xv.
(2) A en croire une tradition acceptée par tous les biographes et même par l'histoire, Vergniaud aurait aimé non-seulement le théâtre et l'art, mais encore une actrice célèbre. Partout on parle de sa liaison avec Julie Candeille ; on ajoute même qu'il aurait composé, en collaboration avec elle, la pièce intitulée : L« Belle Fermière, qui eut un immense succès. On ne cite d’ailleurs aucune autorité, tant le fait paraît notoire. Mais il ÿ a un fait considérable, et dont pourtant on n'a voulu tenir aucun compte : c'est la protestation de la prétendue maîtresse de Vergniaud.En 1817, Julie Candeille, devenue Mme Simons, écrivit, en réponse à un article de la Biographie Michaud, article, dit-elle, «offensant et dangereux, puisqu'il contient une calumnie, » ces paroles significatives : «J'aurais peine à me rappeler les traits de M. Vergniaud : je ne Ini ai jamais parlé. » Elle ne va point jusqu'a dire qu'elle ne l'a pas vu; et elle avait dû certainement le rencontrer chez Talma. La déclaration de Mme Simons, qui eût pu être si facilement démentie, ne l'a jamais été.— Ajoutons que, dans :