Étude sur les idées politiques de Mirabeau
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ses idées sur la propriété ont un intérêt encore très grand d’actualité. Il prenait à tâche de détourner ses concitoyens des spéculations de bourse, pour les intéresser à des moyens plus sûrs, et souvent plus honnêtes, de s'enrichir; il encourageait notamment de toutes ses forces l’agriculture. Afin que le peuple ne fût pas entravé dans son travail, il voulait remplacer l’armée permanente par des milices nationales, institution qui est sans doute plus propre à ménager les intérêts des individus qu'à assurer la puissance extérieure de l'État.
On peut en revanche lui reprocher de n’avoir pas, sur quelques points, pris une position assez nette. Par exemple, il n'avait ni le goût ni les connaissances nécessaires pour travailler à la nouvelle organisation de la justice : du moins, il a toujours lutte en faveur de l'établissement du jury. Il ne s’est pas non plus franchement prononcé sur la dualité de la représentation nationale. Il faut toutefois reconnaître que de son temps la formation d’une Chambre haute était impossible. En outre, une Assemblée unique trouvait son contrepoids suffisant dans le droit de veto législatif laissé à la monarchie. Cette monarchie en effet était à même de contrebalancer la puissance de l’Assemblée, si l’on avait rempli le programme de Mirabeau, car il s’est montré un maître dans l’art d'approprier la royauté traditionnelle au monde moderne et de faire concourir tous les pouvoirs, même les moins populaires, au bien public. Aussi, quand on tient compte de son caractère, de son éducation et des circonstances de sa vie et que l’on apprécie le genre de son éloquence; après avoir admis les sacrifices que lui imposait sa popularité, le seul fondement de sa puissance, et compris les calculs politiques qu'il faisait pour assurer le succès de ses idées, notamment en « enferrant » l'Assemblée; une fois enfin que l’on a écarté tous ces éléments extérieurs et que, suivant la demande expresse de Mirabeau, on le juge d’après l'ensemble et non d’après le détail de sa conduite; on dégage de ses écrits, de ses discours et de sa correspondance intime un système de constitution grandiose qui autorise à le proclamer le chef de l’école libérale, et d’une école qui n’a pas vieilli.
Pourquoi donc ses plans politiques n’ont-ils pas abouti ? Diverses raisons le font comprendre. D'abord sa vie a été trop courte pour qu'il pût faire connaître en entier ses opinions et mettre lui-même la main à l'œuvre. Puis il n’a été secondé par personne dans cette tache et ses desseins n’ont pas été suivis.