Битеф

française la révolution c’est a milan (jean-pierre leonardini)

Une ’maris-antoinetterie’ pour commencer. On reconduit à Paris la reine et le roi Louis XVI rattrapés à Varennes (22 juin 1791) Un délégué de la Constituante accueille avec respect les deux fuyards, dignes devant la foule muette. Un bateleur s'écrie; Nous aurions pu vous narrer l'histoire de cette manière ... (Mallet-Isaac et Si Varsailles m'était conté). A partir de là, 1789 La Révolution doit s'arrêter à la perfection du bonheur-Saint-Just créé au palais des sports de Milan, à l'invitation de Paolo Grassi, directeur du 'Piccolo Teatro’, par Ariane Mnouchkine et la Compagnie du Soleil s'organise comme une réfutation des idées reçues depuis l'enfance; celles où le peuple est impopulaire. Contre la conception petite-bourgeoise de l'Histoire dominée par de 'puissantes personnalités’, ce spectacle, au moyen de purs signes théâtraux, dessine en creux dans l’espace une figure plurielle; le peuple, 'les pauvres'. Ce n'est pas qu'ils apparaissent souvent 'en chair et en os’. Le mouvement premièr n'est autre que celui des représentations de l'événement révolutionnaire. Histrions, bateleurs, mimes, montreurs de marionnettes et baladins donnent, tour à tour ou simultanément, la comédie de l'époque. Le dispositif; quatre scènes sur tréteaux, reliées par des passerelles, engendre un quadrilatère d’espace neutre’ où le public debout ('le peule' d'aujourd-hui. selon le projet idéologique implicite de 1789 ...) peut être labouré par la trace de sa propre hi-

stoire restituée. Les comédiens descendent quelquefois au cœur de ce vide habité: pour signifier le forum d'alors, lieu d'échanges civiques, hérité de Rome. En face, sur les gradins, d'autres spectateurs assistent (à la fois juges et partie prenante). Des greffes Tout entière jalonnée de marques de reconnaissance au double sens de retrouvailles et de gratitude la fresque, produite par le montage de courtes fables théâtrales tirées de certaines histoires d’almanach, des gravures de livres colportés, des peintures du XVIII siècle français, des fêtes civiques de David décrétées par Couthon ou Robespierre ... s'enrichit de greffes, plutôt que de citations, 'étrangères'. Ce sont ces poupées parlant avec l’accent du guignol lyonnais mais qu'agit un manipulateur visible, comme dans le bunraku japonais ou bien, inspirés de le technique de l’acteur chinois, ces petits pas glissés qu'utilisent les paysannes en proie à la grande peur. Les marionnettes géantes évoquent le Bread and Puppet de Peter Schumann. Le creusement de la foule par les comédiens rappelle l'Orlando furioso de Luca Ronconi et Eduardo Sanguinetti (I), mais purgé de toute velléité agressive. Des codes fressés C'est qu’il ne s'agit pas ici d’ostentation, mais d'un détournement généralisé des emprunts esthétiques à des fins idéologiques précises. Que le tressage des codes ainsi convoqués aboutisse à une théâtralité littéralement dans tous ses états, ne masque nullement le projet; la bourgeoisie s'est apprapré le profit et l'histoire de la Révolution; le spectacle est une tentative pour lui en reprendre sinon le produit, du moins l'histoire, dit Ariane Mnouchkine. Au contraire, en suscitant sans cesse ruptures de tons, césures et 'blancs', en passant délibérément

de la vitesse à la lenteur, 1789... repousse, de toutes ses forces mises en jeu, toute illusion, toute identification individuelle, sans doute, au-delà, ambitionne-t-il ('identification collective, ici se pose la question; quel public verra se spectacle? (2) Que ne soit jamais stimulée une quelconque participation est une garante de plus pour l'exemplarité de l’entreprise. L’Histoire ainsi revisitée s'écrit au milieu de et devant le public. Elle ne vise pas à l’effraction privée, mais à la prise de conscience à plusieurs; où il reste à chacun à créer par les scènes multiples à modeler à son usage la leçon, qui produit un nouveau spectateur, cet acteur qui commence quand finit le spectacle. Le fil rouge 1789.. se clôt sur un discours de Babeuf. Ce n'est pas un hasard. Le dernier mot revient à celui qui pressentit la lutte des classes des temps à venir. Que cette parole prémonitoire, au stade élémentaire, de la soumission économique des pauvres aux riches soit le point final, prouve le bienfondé théorique de l’entreprise, en même temps que le sérieux de l’information qui en a précédé l'élaboration. Qu’au sein de ce produit théâtral achevé coure la fil rouge de la science historique; Jaurès, Mathiez, Lefebvre, Soboul... nous fait dire que 1789.. prend figure, à grande échelle, d’œuvre de salubrité publique. Surtout il y est pris act que la Révolution fut bourgeoise, avec comme appoint le sang des 'pauvres'. L’extrême stylisation du jeu met en relief le travail des comédiens. Cette grande consumation d'énergie s'avère dépense productive; le public milanais était enthousiaste. 1789.. renoue à sa manière avec le vœu de Romain Rolland; Un peuple heureux et libre a besoin de fêtes, plus que de théâtres: il sera taujours son plus beau spectacle à lui-même. Préparons pour le peuple à venir des têtes du peuple.