Битеф

ciable cette sociabilité extérieure nous introduit dans une situation post-babylonienne de la non-reconnaissance tragique. 'La Kermesse', il est vrai, se déroule dans une ambiance sociale apparemment réelle, mais son drame se passe exclusivement dans l'espace de la divagation poétique. Toute cette machine assez riche, à l’exubérance quasi baroque est utilisée pour exprimer la connaissance de l'impuissance du poète devant le destin, mais aussi pour montrer une certaine supériorité de la création théâtrale sur le théâtre des témoignages psychologiques et de la croyance sociale. A cet instant de la création théâtrale, Miroslav Krleža n’avait pas encore ressenti les obstacles techniques qui s'imposaient à son imagination scénique. Il ressentait seulement l'entrave imposée par les traditionnelles conventions scéniques du théâtre bourgeois de coutumes et de vertus. C,est pourquoi la forme du fantasme, de la divagation scénique à laquelle on a recours, nous peersuade que 'La Kermesse' est à vrai dire un essai poétique visant à réaliser sur la scène surréellement, en dehors de la sphère d'influence de l’opinion théologique. Mais une question se pose: Comment et où? Dans le cas poétique de 'La Kermesse', cette métamorphose se déroule sur la scène en tant qu'unique théâtre possible où le langage se métamorphose en action.

de ’la kermesse’ (zvonimir mrkonjić)

En revenant aux sources de sa tradition moderne, le théâtre croate et le théâtre yougoslave d'aujourd'hui trouvent dans 'La Kermesse' écrite en 1915 par Miroslav Karleja les racines de ses nombreuses préoccupations actuelles et l'initiative de répondre aux provocations de quelques-unes des questions les plus complexes de son existence pratique. Pour le théâtre yougoslave l’importance historique de la 'Kermesse' et sa force inspiratrice actuelle résident dans l'ouverture de la jeune vision expressionniste de Karleja. Pour briser la fermeture ensorcelée de l'espace où s'entrechoquent les conflits de la famille bourgeoise, Karleja continue l'acquis marqué par les drames tardifs de Strindberg: 'Sonate fantomatique' et 'Les rêves’. Mais, contrairement aux autres pièces de jeunesse de Karleja où la vision symbolique ne renonce pas à la continuité rhétorique, 'La KERMESSE' est conséquente dans la transmission des suites de l'éclatement de l'espace de la dramaturgie en chambre en d'autres éléments du langage scénique: la succession des événements est marquée par la durée de la foire, les petites scènes à l'intérieur de cette durée sont reliées moins par la causalité que par le changement des parties de la composition qui synthétise la multitude hétérogène des masses, des mouvements, des couleurs et des sons. Cette fresque scénique de 'La Kermesse' à Zagreb, au début du siècle, est donc un drame paradoxal sans protagonistes, étant donné que tous les personnages qui évoluent sur la scène sont égale-

ment importants pour l'élan dynamique de l’action. En d’autres termes le protagoniste, c’est la masse bouillonnante sans, contour précis, faite de formes, de couleurs et de sons, qui fait irruption sur la scène; assavoir la foire elle-même. La parole ne joue pas le rôle principal en tant que complément de l'action, c'est plutôt le rythme de la comrôle principal en tant que complément de, interprète les états de cet être collectif. C'est pourquoi les descriptions des,événements, les didascalies, deviennent des piliers de ia superstructure scénique ouvrant, grâce à leur exaltation poétique, toutes les possibilités à l’imagination; 'Le premier instant, lorsque le rideau se lève, le rythmé des couleurs, des lignes, des plans, des, tons doit être si intense qu'on ne distingue rien. Un chaos de formes indéfinies tourbillonne sur la scène. Des jets de couleurs bigarrées s'écoulent, de puissantes cascades de sons se précipitent avec fracas, toute une masse étrange de vie élémentaire danse sur la scène. 'Cependant deux personnages finissent par paraître dans le drama, ce sont Yanez et Chtiev, nous pourrions même croire que ce sont deux protagonistes si ce n'étaient deux morts, deux suicidés à la suite d'un amour malheureux et qui reviennent parmi les vivants pour revoir une dernière fois la femme pour laquelle ils ont choisi la mort. De tels protagonistes pourraient nous amener à considérer 'La Kermesse' comme une 'anti-pièce', mais dans un sens qui dépasserait les références historiques de l'anti-théâtre. Par le réalisme puissant avec lequel ils sont peints, et par leur individualité comparés aux représentants typisés de la masse, ces deux personnages montrent combien les vivants sont, à- vrai dire, des ombres irréelles, perdues entre la mort et la naissance, emplissant la scène tels des spectres fragiles. Deux pauvres clowns-suicidés montrent combien, dans ia vision tragique de Karleja, l'ordre des choses établies est inversé pour être subordonné à la connaissance du poète: les morts deviennent plus réels que les vivants, le destin tragique est plus fort que l'illusion du monde réel. La fantastique 'Kermesse' restitue le point de section entre le collectif, l’individuel le réel, le surréel, la cohérence et l'incohérence; elle n'a de prédécesseur que dans les fantasmagories de Gogol et à l'aide de la corporalité retrouvée dans l'expression scénique du théâtre contemporain, elle suggère une idée plus pleine et en même temps plus potentielle de la réalité. C'est pourquoi, si nous recourons aujourd'hui au texte de Karleja, nous n'y recourons pas en tant qu' oeuvre de notre patrimoine dramatique, mais plutôt que nous nous proposons un nouvel examen de la contemporanéité de notre adhésion à l'acte théâtral en général. ,

de la dramaturgie du jeune karleja (branko gavella)

Jeune auteur dramatique, Karleja recherche

dans l'intensification de la scène, une démonstration visible et convaincante, et une affirmation de son message dramatique, comme s'il craignait qu'il n’interprète pas assez visiblement son sens profond de la vie. Une question se pose: Karleja était-il équitable envers lui lorsqu’il ne voyait que !a mise en valeur quantitative, dynamique de ses textes; je verrais plus volontiers dans ses premiers ouvrages dramatiques non seulement le besoin de souligner et de renforcer symboliquement, non seulement le besoin de démontrer particulièrement le sens textuel, mais le besoin d’une illumination transparente du sens fondamental de la fonction dramatique. Ce matériel scénique surréel n’est pas en lui; à vrai dire unique sous le rapport du style, ces danses macabres, ces files de personnes ivres, ce tourbillon de perturbations scéniques accumulés comportent, çà et là, des tautologies dramatiques, parfaitement claires et enfermées dans leur contexte dramatique. 11 y a là des épisodes illustratifs surréels interpolés, plus ou moins nécessaires qui, en quelque sorte, devraient faire fonction de contrepoint de l'événement dramatique; il y a enfin des descriptions scéniques entonnées purement lyriquement auxquelles toute matérialisation grossière ôterait non seulement toute signification poétique, mais détruirait le texte dramatique lui-même.

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