Битеф

visuelle, vécue, de toutes les mythologies que suggère la lecture de Marivaux: costumes empruntés aux petites filles de Lewis Carroll, qui se dégradent au fur et à mesure que les enfants perdent leur innocence forcée; »Ode maçonnique« de Mozart pour nous préparer à ce rite de passage; airs lointains de blues pour souligner la présence massive de l’esclave noire; jeux érotiques maladroits, où les morsures remplacent les baisers; miroirs ondoyants comme de Veau .. . Toujours magnifiée par la beauté des décors et des éclairages, cette réalité théâtrale passe par les épaisseurs géologiques de la culture. Chéreau a rêvé sur une lecture de Marivaux, et Bachelard aurait aimé ce spectacle. Et qui peut prétendre avoir bien lu Marivaux ou un autre grand écrivain sans y avoir ajouté quelque chose de soi? Mais Chéreau n’est pas un esthète qui improvise et s’amuse. Si l’attirent souvent des problèmes de pure technique théâtrale, ses fantasmes le mènent plus loin qu’on ne le croit. On le voit bien quand, à la fin, le prince tire de la fosse d’orchestre un troisième couple apeuré. Il ne s’agit plus de jeux interdits. Ces enfants, que nous avons vus toute la soirée se débattre dans un conflit que d’autres voudraient abstrait, sont bien des victimes. Que ces personnages d’une cour imaginaire, mais qui appartiennent à la race bien connue des possédants, aient pu s’offrir ce divertissement, voilà, semble dire Chéreau, ce qu’on ne saurait supporter. Le spectacle donné àla cour et à nous s’achève dans une vision d’épouvante: » Croyez-moi, dit la princesse Hermiane, nous n’avons pas lieu de plaisanter. Partons.« Partons, nous aussi, mais sans la bonne conscience des » spécialistes« de Marivaux que regrettent les froufrous et la voix aigre des sociétaires de la Comédie-Française, à laquelle Marivaux, déjà, préférait les Italiens. Créé en 1744, »la Dispute« a été tant sifflé qu’il n’y a pas eu de seconde représentation. Marivaux ne pouvait pas être compris à ce moment-là. Depuis, on s’est contenté de nous donner un Marivaux littéral, c’est-à-dire lu au lieu d’être joué. Enfermé dans l’épithète de » marivaudage«, il a satisfait surtout les amateurs de beau langage, de litote, alors que sa langue —et spécialement dans »la Dispute« est la plus audacieuse qui soit. Est-ce le trahir que de lui redonner sa prescience d’une époque en train de naître sous ses yeux? Ne savait-on pas, déjà, que le Trivelin de »la Fausse Suivante« parle comme Figaro et que »les Liaisons dangereuses« est déjà en germe dans ces bizarres échanges d’amoureux? Opposer Marivaux à Chéreau n’est d’ailleurs qu’une fausse querelle. Nous sommes en présence d’une oeuvre théâtrale nouvelle qu’il faut sentir et juger en elle-même. Les réserves qu’on peut faire ne tiennent qu’à des détails. Pair exemple, fallait-il préférer une diction plus parfaite à l’extraordinaire présence des trois comédiens étrangers qui, justement, brisent l’harmonie trop française où Marivaux était retenu prisonnier? On bien penser que, peu avant la fin, le rythme, trop tendu, s’affaiblit faute d’idées nouvelles dans la mise en scène? Doit-on enfin reprocher à Chéreau d’avoir découvert, en même temps que d’autres, l’extrême importance des troubles psychiques de l’enfance et de l’adolescence et de s’en être servi pour nous faire

partager, peutêtre, ses propres effrois? Sortir bouleversé d’un spectacle, comme nous sommes nombreux à l’avoir été, n’est pas chose commune, surtout au théâtre où, faute de temps et de moyens, sinon de talent, metteurs en scène et comédiens ont tant de mal à nous faire croire à la nécessité de jouer les auteurs du passé ,.. Tant de violence, tant de beauté ne peuvent choquer que les esprits faibles. Il est bien possible que les résistances qu’on a senties çà et là tiennent moins à la défense d’un Marivaux ne varietur, statufié, momifié, qu’à la représentation à la fois brutale et gracieuse de cette enfance désemparée, qui ne trouve refuge que dans la forêt pour s’j cacher ou y mourir de solitude. Qui ne peut s’y reconnaître n’a jamais counnu le désir, la peur d’aimer ou de ne pas pouvoir aimer toujours... Si vous ne deviez aller au théâtre qu’une fois dans l’année, qu’une fois tous les deux ans, tous les trois ans, c’est là qu’il faut aller. ( Guy Dumur)

ш — j 1968, l’Héritier de tillage, de Marivaux, premier ÊJmÊ spectacle professionnel de Patrice Cher eau: Festival de Nancy, tournées difficiles, Sartouville. psychodrame 1971, période tí o i* tvè fi fi p T itaiienne ’ ia Finta MM itti tKy i IL Serva (la Fausse Suivante): Festival de Spolète, Milan; sept représentations • exceptionneles à Nanterre. \ 24 octobre 1973, création 1 à Paris de la Dispute, И coproduction T.N.P ВДЯа- я -festival d’Automme. L’Héritier de village, un ЩГШ exercice brechtien ; la Ж- Finía Serva, le climat ji dramatique de Verdi. Et la Dispute? philosophiques, y dernière que Marivaux ait - écrite. » Jamais, dit Patrice Cher eau, son langage n’a \ été aussi dense. On peut prendre les mots au pied de la lettre, et en tiret des infinités de comportements, y voir une exigence absolue envers la vie.« Avec Richard Peduzzi et Jaques Schmidt, qui, comme toujours créent décors et costumes, Chéreau vient de s’installer à Paris, au Théâtre de la Musique pour les dernières répétitions. Elles se sont poursuivies pendant six semaines à Villeurbanne avec des comédiens venus de Paris et même de New-York (deux chanteurs noirs, Mabe ! King et Thomas Anderson)