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soirée de repérage«, jubile Peduzzi. Tout le monde suit Mabel King, qui a décidé, d’aller voir Ray Charles et de lui présenter Chéreau. On se retrouve dehors, boue et pluie, dans la nuit lugubre, devant les facades rébarbatives, à la porte des » coulisses «. Une » groupie « des années 50, décolorée, boudinée dans un pantalon blanc, graillonne en anglais. Mabel, de toute la force de ses cent vingt kilos, tire Chéreau qui, géné, intimidé, se colle au mur de béton. Il attend, et tout le monde avec lui. Enfin, tenu, soutenu par un manager fatigue, Ray Charles, flottant dans un manteau ample, despend l’escalier raide, répond machinalement à la bienvenue de Mabel King, passe, s’engouffre avec les musiciens dans un car éclairé qui donne aux peaux noires un reflet vert. Il pleut sur les coeurs désolés ... Dans le restaurant de nuit où tout le monde se retrouve, frileux, deux vieillards circulent entre les tables, agitant des tirelires de fer, ils quêtent pour les aveugles. Ils ressemblent aux vieillards de Chéreau.

ГЬ »й ł л rv đTf Sb »La source la plus 1C COUFÍIid C ordinaire des eûmes O qui se commettent et la conscience dans mon^e ’ се n esí pas ■ '' n’éíait que fatigante ; mais S ЩSШЖ Ж Après les ouvriers, écoutons s’exprimer les femmes: »Nous sommes méchantes, dites-vous? Osez-vous nous le reprocher? Dans la triste privation de toute autorité où vous nous tenez, de tout exercice qui nous occupe, de tout moyen de nous faire craindre comme on vous craint, n’a-t-il pas craindre comme on vous craint, n’a-t-il pas fallu que, à force d’esprit et d’industrie, nous nous dédommagions des torts que nous fait votre tyrannie? Ne sommes-nous pas vos prisonnières ; et n’êtes-vous pas nos geôliers? ( ... ) Nous ne sortons du néant, nous ne saurions vous tenir en

respect, être quelque chose, qu’en nous faisant l’affront de substituer une industrie humiliante, et quelquefois des vices, à la place des qualités, des vertus que nous avons, dont vous ne faites rien, et que vous tenez captives .« C’est Marivaux encore, et il a suffi de deux citations pour réentendre, comme s’il était là, Marivaux en personne, pour rappeler qui il était. Marivaux: un homme de révolte, de passion, mais qui ne donnait que le mot juste. La définition exacte. C’est en sachant être précis, et c’est tout, qu’il faisait se lever l’orage. Et il y avait d’autres Marivaux, dont un Marivaux solitaire, et lunaire, et silencieusement maudit, qui racontait les plus beaux reves de l’innocence universelle, ces rêves qui commencent debout lorsque Marivaux marche seul sur un chemin de sable blanc, l’hiver, sous des sapins noirs, dans une forêt, ou bien qui commencent la nuit: »Je m’endormis donc du sommeil la plus profond, et je rêvai que je me trouvais au milieu d’une vaste campagne, partagée en deux terres de différente nature. A droite ce n’était que fleurs odoriférantes, et qu’ arbres fruitiers; mais ces fleurs étaient sèches et fanées, et les arbres mouraient da vieillesse. La campagne, de ce côté, me paraissait abandonnée; elle était devenue sauvage. Alors, en jetant la vue un peu plus loin, je découvris un palais ,..« » J’ai promis un Rêve, avait dit Marivaux; je m’en ressouviens; mais c’est un rêve qui ne roule que sur l’amour. «Et ce rêve, affreux il faut bien le dire, qui de nous l’avait entendu? Qui avait osé s’y perdre? Les nuits passent, les jours, les ans, et voici qu’une nuit un jeune homme, à qui il a fallu beaucoup de courage et beaucoup de conscience, endort le public, ce public dont Marivaux dit si joliment qu’il »tient en respect« les poètes. Ce jeune homme, Patrice Chéreau, avec une douceur infinie, fait à pas de loup entrer ce public dans une vaste campagne, partagée en deux terres de différente nature. Les fleurs sont fanées. Les arbres meurent. Il y a des milliers d’insectes, et la pleine lune, et voici les hauts pilastres du palais abandonné. Ainsi commence, sans un mot, la plus belle pièce de Marivaux: la Dispute. Le jour où Marivaux leur apporta cette pièce, les comédiens-français en devinèrent la dimension puisqu’on lit dans leur registre de l’année 1744: »Aujourd’hui, mardi 22 septembre, la troupe assemblée, après la lecture d’une petite pièce en un acte, Va reçue tout d’une voix pour être jouée sur-le-champ et avant toute autre.« La pièce fut montée en quatre semaines. Sans doute était-ce bien hâtif pour une oeuvre aussi singulière. Elle fut jouée le 19 octobre pour la première fois. Il n’y eut pas de deuxième fois, vu l’attitude du public. Cet échec fut de grande portée sur le destin de Marivaux. Voilà un exemple de la gravité des hasards: si la Dispute avait été jouée, le 19 octobre 1744, comme P artice Chéreau la montre aujourd’hui, c’eût été un triomphe, et rien ne prouve qu’encouragé par ce triomphe Marivaux n’eût pas écrit plusieurs autres oeuvres irremplaçables. Ce n’est pas une bagatelle que de diriger un théâtre, le metteur en scène doit bien mesurer à quel point il est responsable, quand il se fait l’intercesseur d’une pièce