Correspondance de Thomas Lindet pendant la Constituante et la Législative (1789-1792)

338 CORRESPONDANCE DE THOMAS LINDET

Breteuil, Baubray, le Fidelaire, Sainte-Marguerite de l’Autel ont fourni, dit-on, les premières troupes; elles vont toujours grossissant; déjà, dit-on, l’armée est de 7 à 8,000 hommes qui retournent tous les jours coucher chez eux; les municipalités en écharpe sont à la tête (7). Quelques officiers municipaux sont venus le dire au département et annoncer les ordres qu’ils reçoivent, pour se tenir prêts à marcher,et leur docilité à obtempérer. Cette armée ne commet pas de dégâts; elle paye tout, répare les dommages, et regorge d'argent. Elle doit être forte de 20 ou 30,000 hommes pour venir à Évreux samedi, jour fixe.

Le département a dépêché pour obtenir un régiment de cavalerie, 600 fusils, etc.; la gendarmerie doit se rassembler. On a envoyé à Rouen acheter de la poudre et des balles qui arriveront quand elles pourront. On a demandé des secours à Rouen. Louviers a envoyé cette nuit 200 hommes. On a demandé 100 hommes et 2 pièces de canon à Bernay. Vernon doit aussi envoyer des secours. Jamais vous n’imaginerez un peuple plus stupide et plus lâche que les habitants d'Évreux.

J’allai hier à la municipalité, je demandai quel était le plan de défense : je parlais hébreu aux commandants. On dit qu’on attendait des secours, qu'on ne savait pas quelle était la force publique dont on pourrait faire l'emploi. On dit que les deux tiers des citoyens étaient suspects, qu'on avait tout au plus 150 fusils. ‘

(x) Voir sur les causes de cette panique qui se produisit dans d’autres provinces que la Normandie, les judicieuses observations faites par les auteurs de l'Histoire parlementaire de la Révolution française, XIII, p. 320. Dans la séance du 4 mars (Moniteur, XI, 554), un des secrétaires avait fait lecture d’une lettre du directoire de l'Eure annonçant que le département était infecté par $ à 6,000 séditieux ; qu'Évreux était sur le point d'être assiégé, que la garde nationale était remplie de zèle et d’ardeur, mais que, restée seule, elle ne pouvait offrir qu'une faible résistance. Thomas Lindet, dans sa lettre, montre combien la panique des administrateurs

exagérait le mouvement, et raille un peu le prétendu courage de la garde nationale d'Evreux.