Correspondance inédite de La Fayette : lettres de prison, lettres d'exil (1793-1801)

ÉTUDE PSYCHOLOGIQUE 21

tre chose que le zèle désintéressé de simples alliés”. » Et il écrit à La Fayette : « Si vous avez conçu la pensée, mon cher marquis, de faire cet hiver une visite à votre cour, à votre femme, à vos amis, et que vous hésitiez par la crainte de manquer une expédition dans le Canada, l'amitié m'engage à vous avertir que je ne crois pas la chose assez probable pour changer vos projets. Les chances me paraissent tellement contre l’entreprise, qu'il ne faudrait pas pour elle renoncer à vos idées de voyage. » (25 sept. 1778.) De son côté, La Fayette écrit en Europe : « Je commence à m'apercevoir que, séduit par un faux enthousiasme, j'ai fait une faute de tout quitter pour courir en Amérique; mais c'en serait une plus grande d'en revenir. Le calice est tiré; il faut le boire jusqu’à la lie ; mais la lie se fait déjà sentir*. »

Il y eut d’autres intermittences à ces sentiments de La Fayette; mais il resta toujours séduit par le caractère imposant de cette volonté d’un seul homme aux prises avec des difficultés inouïes et restant toujours, par son prestige, maîtresse des situations. Les beautés du commandement fondé exclusivement sur une popularité soutenue frappèrent vivement, par ses résultats et ses dehors, cette imagination inattentive aux angoisses intimes, aux luttes de conscience que comportait un tel rôle de dictateur effectif sans presque aucun moyen légal de se faire obéir. Le rêve de La Fayette se précisa ainsi, et il put souhaiter de devenir «un Washington sous Louis XVI*» pour le jour lointain où la France adopterait le système politique des États-Unis, mais un Washington tout en

1° ID., p.149.

2. CHARAVAY, id., p. 88. 3. AuLarp, Histoire politique de la Révolution française, p. 5.