Correspondance inédite de La Fayette : lettres de prison, lettres d'exil (1793-1801)

CORRESPONDANCE INÉDITE 347

soire et en définitif, est inconnue; votre tante penche pour les États-Unis et travaille l'anglais avec Georges; mais les autres ne veulent pas qu'on aille si loin, et je crois qu'ils ont raison. Pauline est allée à Lubeck, où elle a trouvé mon oncle de Jérusalem; je l’avais chargée de mon compliment. La femme a dit que, malgré ma démocratie, on ne me haïssait pas; elle a vu le fils en passant, mais son mari ne veut avoir aucun rapport avec lui. Pauline revient demain avec les Stolberg'; je ne sais si je vous ai mandé que le pauvre Romelin, qui avait si naïvement avoué sa peurde me voir arriver pendant le séjour de son prince, est venu, le lendemain de son départ, prier Georges et moi d'aller diner chez lui, ce que nous avons fait. A propos de prince, notre duc de Ploen vient de faire une petite sottise ; il a été si piqué, je ne sais pourquoi, de n’être pas accompagné à cheval par un jeune palefrenier dont on lui a refusé les services, qu'il a appliqué, au beau milieu de la ville, des coups de fouet sur la figure de Maderelost le fils, et comme celui-ci l’a pris au collet pour se défendre, le duc s’est enfui en criant qu’on l’assassinait, de tout quoi il a été envoyé un procès-verbal à Copenhague, et sans doute à Pétersbourg, où les deux monarques sont encore plus fous que lui. Voilà, mon cher cœur, toutes les nouvelles de notre canton, où nos jeunes gens courent tantôt après les chevreuils et tantôt après les canards, mais n’attrapent jamais rien. Quelque malheureux que soit le désastre de notre

1. Le comte de Stolberg, poète, savant, ami de Gœthe, de Klopstock, des frères Schlegel, était, en 1796, ministre du duc d'Oldenbourg, princeévêque de Lubeck; il habitait à Eutin, près de la famille de La Fayette, avec laquelle la sienne se lia très intimement. (Cf. A. Callet, la Marquise de Montagu, 6° éd., p. 250.) Mw° Pauline de Montagu convertit au catholicisme toute cette famille luthérienne.