Correspondance inédite de La Fayette : lettres de prison, lettres d'exil (1793-1801)

368 CORRESPONDANCE DE LA FAYETTE

rempli les destinées que mes meilleurs amis me croyaient extravagant de leur prédire. J'ai devant ma fenêtre un arbre de la liberté; cela me semble plus naturel que d’être dans les États de l’ancien régime ; ce n’est pourtant pas sans regret que j'ai quitté ma chère hôtesse! et cette charmante presqu’ile qui me retraçait tant de délicieux souvenirs. Avant de quitter les environs de l’Elbe, j'ai eu des renseignements assez curieux. Il en résulte que si la dernière secousse? a privé la France de plusieurs excellents citoyens, il y a eu aussi plusieurs accusations très fondées et justifiées par la conduite postérieure d’un homme marquant; mais je ne veux point me jeter dans la politique.

Je ne vous parle pas de tout ce qui vous intéresse, mes chers amis; mon cœur y est tout entier ; il vous a suivis avec une anxiété et des vœux dont le vôtre jugera mieux que je ne pourrais l’exprimer; il est dans ce moment bien occupé de vous et voudrait savoir en détail tout ce qui y a rapport. Êtesvous à la campagne chérie où l’on joint à tous les sentiments qui attachent à vous un nouveau motif de vous aimer auquel je m'unis de toute mon âme? Pensez-vous à retrouver le plus tendre de vos amis? Il y a mille choses qui ne m'ont encore été dites qu'imparfaitement et que mon affection pour vous me fait attendre avec bien de l’impatience. Parlez de moi à vos bons et respectables parents.

Nous attendons tous les jours la décision de la paix, ou de la guerre; je fais des vœux ardents pour la paix, et je suis persuadé que le gouvernement la désire; si elle ne se fait pas, il n’y aura de consola-

1. M»: de Tessé, à Wittmold. 2. Le 18 fructidor.