Correspondance inédite de La Fayette : lettres de prison, lettres d'exil (1793-1801)

58 CORRESPONDANCE DE LA FAYETTE

de ce qu'il a fait, mais il modifie par l'effort de sa volonté le milieu où il vit; son initiative y dépose des ferments d'activité et y devient un centre d'attraction. Comme les poussières métalliques se groupent et se répartissent aux pôles opposés d’un aimant, ainsi les volontés humaines se polarisent pour ou contre une volonté d'énergie supérieure, en recoivent l’impulsion ou sont provoquées à l'union pour lui résister. L'homme de volonté est comme un « metteur en œuvre » de l'humanité. Ce n’est pas lui qui crée les besoins de s’unir, les penchants de sociabilité, les intérêts de coopération; mais lorsque ces données de la nature existent, il faut encore l'intervention d’une volonté puissante pour les conduire à leurs fins. Aristote‘, en recherchant l’origine de la cité, remarque fort bien, à ce sujet, que, pour l'établissement des premières communautés, il a fallu, outre la réunion de toutes les circonstances favorables qui tiennent à la nature, l'effort d’un fondateur, d’un homme de vrai génie et de volonté forte. C’est à cela, en effet, que se reconnait le politique destiné à exercer une action efficace et durable sur son milieu et son temps.

De cette qualité dérivent celles qui sont indispensables au véritable gouvernant : tension du vouloir vers l'effet social en dépit des fluctuations de l’opinion ; tension de la pensée vers les moyens de réaliser le dessein conçu, vers l’affirmation des principes, sans la crainte des mots et avec l'horreur des équivoques ; mais aussi souplesse de l’action dans les variations des circonstances et dans le choix des auxiliaires; discernement des hommes et sympathie attentive au mérite utile. Ce sont là, assurément, les

1. Politique, I, ch, r°", 3 11; 1253%, 98, éd. Bekker.