Journal d'un étudiant (Edmond Géraud), pendant la Révolution (1789-1793)

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m'ont paru peintes avec le plus grand goût; elle est au reste assez pelite, mais sonvre; je crois qu'on voit et qu'on entend bien de tous côtés. J'ai vu jouer le rôle de Meédée par Mile Raucourt!; elle m'a fait beaucoup d'impression, elle m'a même ému au dernier point; je me surpris à pleurer; mon illusion a été complète. Qu'elle remplissait bien par la vivacité de son jeu le précepte que donne Horace dans son art poétique :

Medea sit invicla feroxque. Que Médée soit inexorable et féroce.

€ IL se peut que Mlle Raucourt ne joue pas aussi bien dans d’autres rôles tragiques, mais elle est faite pour jouer celui de Médée. Son port. sa voix, son visage, expriment parfaitement les fureurs de cette magicienne. Elle excita, ce soir-là, La plus grande

1. C'était une des plus célèbres actrices des Francais. « Ses débuts plongèrent Paris dans une véritable ivresse. La jeune femme était à peine âgée de dix-sept ans, grande, bien faite, de la figure la plus intéressante: son jeu plein de noblesse et d’intelligence souleva des applaudissements frénétiques; le publie riait et pleurait tout à la fois, enfin le délire devint tel que les gens s'embrassaient sans se connaître. Aux représentations suivantes les transports ne firent qu'augmenter. Quand la débutante devait paraître, les portes de la Comédie étaient assiégées dès le matin: on s'y étouffait, les domestiques qu’on envoyait retenir des places couraient risque de la vie, on en emportait chaque fois plusieurs sans connaissance, et l'on prétend qu'il en est mort des suites de leur intrépidité. » (Grimm. Corresp. Littér.)