Journal d'un étudiant (Edmond Géraud), pendant la Révolution (1789-1793)

PENDANT LA RÉVOLUTION. 545

tend ni le bruit des tambours, ni le bruit des cloches ; la capitale parait dormir d'un sommeil paisible.

Les massacres continuent pendant deux jours sans qu'on fasse rien pour y mettre un terme. Ce ne sont pas seulement des nobles, des aristocrates abhorrés, qui sont victimes de cette ivresse sanguinaire : au Châtelet, on massacre des voleurs; aux Bernardins, des forçats ; à Bicètre, des pauvres, des vieillards, des malades, des enfants; à la Salpêtrière, des femmes, des orphelins.

Ces scènes effroyables, ces actes de cannibalisme, dont le souvenir seul fait frémir d'horreur, ont-ils terrifié Paris, ont-ils révolté la conscience publique, vont-ils soulever une indignation universelle ? Hélas ! non. L'imminence du péril, la rage d’avoir été trahi, l'indignation contre tous les aristocrates ont à ce point échauffé les esprits qu'on approuve ces abominables massacres.

Si quelques âmes sensibles s'apitoient sur le sort des infortunées victimes, elles s'empressent d'ajouter qu'après tout, le peuple a été juste, et qu'il n’a fait que devancer le glaive des lois qui ne pouvait manquer de frapper ces criminels : «si on les eût laissés vivre, ils nous auraient égorgés dans quelques jours, disait-on : au moins maintenant si nous sommes vaincus, ils auront succombé avant nous. »

Il est juste d'ajouter qu'au premier moment, on ne se rend pas bien compte de ce qui s'est passé, on ne