Journal d'un étudiant (Edmond Géraud), pendant la Révolution (1789-1793)

344 LE JOURNAL D'UN ÉTUDIANT

d'avoir écrit dans le Journal de la Cour, prouve son innocence: on l'accuse d'avoir émigré; il démontre qu'il y a erreur : «Mais tu es un aristocrate. » — «Oui, répond-il hardiment, mais vous n'êtes pas ici pour juger les opinions, vous ne devez juger que la conduite. » Son fier langage en impose et sa grâce est proclamée. Aussitôt des cris de « Vive la nation ! » retentissent, le prisonnier est embrassé et escorté jusque chez lui par deux de ces monstres qui demandent à être témoins de la joie de sa famille; puis ils retournent au Carnage.

Ils apprennent qu'un geôlier a laissé ses prisonniers sans eau pendant vingt-quatre heures: ils s’indignent et veulent le tuer pour le punir de son inhumanité ; c'est à grand'peine qu'il leur échappe.

Au Châtelet, à la Force, à la Conciergerie, aux Bernardins, à Saint-Firmin, à la Salpêtrière, à Bicêtre, mêmes exécutions sanglantes, mêmes atrocités. Le massacre continue toute la nuit.

Pendant cette soirée il y a foule aux Tuileries; deux magnifiques pyramides de lumières placées sur le grand bassin éclairent tout le jardin; sur la terrasse des Feuillants on y voit comme en plein jour. Dans les allées toutes les boutiques sont éclairées. Le jardin est rempli de promeneurs, de groupes de femmes et d'enfants. Tout le monde semble ignorer les crimes horribles qui s'accomplissent.

Durant la nuit le silence règne dans Paris. On n'en-