L'Autriche et la Hongrie de demain les différentes nationalités d'après les langues parlées : avec de nombreux tableaux statistiqes et 6 cartes ethniqes
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V. — PAYS TCHÈQUES (BOHÈME, MORAVIE, SLOVAQUIE)
La question de la langue parlée a joué un rôle considérable dans l’histoire de la nation tchèque. Depuis des siècles, les Tchèques se défendent contre la germanisation qui les envahit. Placés en face des Allemands, qu'ils trouvent sur toutes leurs frontières, ils se sont appliqués à vivre en dehors d’eux, à se distinguer d'eux de toutes les façons et à se créer une civilisation absolument personnelle. Cette lutte millénaire, contre un voisinage dix fois plus puissant qu'eux, a trempé leur caractère. Pour résister à leur ennemi héréditaire, ils ont dû se faire une mentalité énergique, une ténacité que rien ne décourage, une patience et une souplesse d’esprit pleine de ressources.
« Deux fois au cours de l’histoire, dit M. Jelinek (1), il a semblé que la netior tchèque était condamnée et, deux fois, cette petite nation a donné, à l’humanité, un bel exemple d'énergie morale, une haute leçon de courage intellectuel. Au quinzième siècle, les paysans tchèques armés de fléaux ferrés bravent le Pape, l'Empereur et toute l’Europe, en défendant leur liberté de conscience. Les guerres hussites sauvèrent la langue et la nation tchèque; elles arrêtèrent les progrès menoçants de la colonisation allemande, que les rois premyslides avaient imprudemment inaugurée. Elles rendirent les Tchèques maïtres chez eux. »
Après la guerre de Trente ans, les familles des patriotes de Bohème avaient dû s’enfuir et leurs biens avaient été distribués à des Allemands. La langue honnie, méprisée par les vainqueurs, était devenue un jargon de paysans. Mais un peuple qui ne veut pas mourir, ne meurt pas. Iltrouve dans l’exaltation de son patriotisme mille ressources pour renaître. Ainsi firent les Tchèques. Après l'immense tuerie, il ne restait plus en Bohême que 806.000 habitants au lieu de 3 millions qu’elle comptait jadis. La dépopulation avait été si grande en Moravie que, par décision des États, «il fut permis à chaque homme de prendre deux femmes pour repeupler la contrée » (2).
Au dix-neuvième siècle, quelques philologues réussirent à accomplir la renaissance de la langue. Cette fois, ce sont les armes intellectuelles qui triomphent. Le livre tchèque a sauvé la nation qui semblait perdue.
Mille raisons, les unes d’ordre matériel, les autres d’un ordre plus élevé, auraient, peut-être, pu attacher les Tehèques à l'Autriche. Malgré tout, ils sont restés fidèles à leur race, tant ils se sentaient étrangers à la mentalité, aux mœurs, aux traditions de leurs maitres. Ils ont dû se résigner en silence et s’accommoder de leur destinée; mais ils n’ont point oublié que, pendant des siècles, ils ont connu les forces et les douceurs de la liberté et de l’indépendance. Ils se sont souvenus qu'ils sont les fils de cette génération de la Renaissance slave, de ces Réveilleurs, comme on a coutume d’appeler en Bohême les protagonistes du mouvement national : les Dobner, les Voigt, les Ungar. Ils sont fiers d’être les descendants des deux patriarches Joseph Dobrovsky et Joseph Jungmann.
(1) Lalittérature tchèque. Cours professé à la Sorbonne en 1910. Paris, 1912, p. 28. (2) E. Reczus, Géogr. Univ., t. III, p. 428.