L'Autriche et la Hongrie de demain les différentes nationalités d'après les langues parlées : avec de nombreux tableaux statistiqes et 6 cartes ethniqes

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pourra plus prétendre à l’hégémonie. Elle serait une simple voie de transit ouverte et assurée à tous les pavillons. »

On ne saurait trouver de meiïlleures raisons. Pour ma part, je ne saurais admettre que le débarquement effectué par l'Italie dans l’île de Sasseno, d’abord, puis ensuite à Valona même, le 23 décembre 1914, devienne une prise de possession définitive. Ce serait grever la future Albanie d’une lourde hypothèque. Or, la question de l’Albanie est déjà assez difficile à résoudre, sans qu’on vienne la compliquer encore par des emprises territoriales côtières et mettre l’Europe en face de regrettables faits accomplis.

J’y vois, de plus, un grand danger pour la paix de l’Adriatique. Si on regarde sur une Carte, on voit que Valona est située juste en face d’Otrante, à l’endroit le plus étroit de l’Adriatique (70 kilomètres environ); c’est ce qu’on appelle le détroit d’Otrante. Permettre à l'Italie de prendre possession de Valona, lorsqu'elle possède déjà Otrante, c’est créer un nouveau Gibraltar, un nouveau Bosphore, de nouvelles Dardanelles. L’Adriatique ne serait plus libre; car on ne pourrait passer que sous les canons italiens et avec leur permission. Cela créerait aux Slaves qui seront de l’autre côté du canal d'Otrante une situation inadmissible. Le chemin de fer projeté qui doit traverser l’Albanie, de l’est à l’ouest, ayant sa tête de ligne à Valona sur l’Adristique et son terminus à Salonique, sur la mer Égée, me paraïtrait bien compromis. Et personne ne contestera que cette voie ferrée sera pour l’Albanie une source de développement commerciel et industriel qui transformera ce pays.

Remplacer l’hégémonie autrichienne par l’hégémonie italienne n’est pas pour plaire aux Slaves qui vivent sur les rives orientales de l’Adriatique. Ils ne demandent qu’une chose : la liberté pour tous, et ils ne l’obtiendront pas, tant qu’il y aura une hégémonie quelconque. Comme le dit M. Loiseau, il y a tout avantage, pour que la paix soit assurée aux forts et aux faibles, à ce que les clefs du canal d’Otrante soient remises à une nationalité qui ne sera pas en état d’en mésuser et qui aura, au contraire, tout intérêt, tant au point de vue commercial qu’au point de vue politique, à maintenir le canal dans une neutralité absolue.

On dit : les Grecs acceptent la situation. La vérité est qu'ils n’ont que des intérêts secondaires dans cette partie de l’Adriatique. Ils pensent principalement à l’Épire et ils ont, d’autre part, Salonique et toutes les côtes grecques; c’est plus qu’il ne leur en faut pour le moment. On saït aussi que c’est du côté de la mer Égée et même des côtes asiatiques qu’ils regardent de préférence. Ce ne sont donc pas les intérêts grecs qui doivent attirer particulièrement l’attention de l’Europe à Valona; c’est l'intérêt de toutes les marines marchandes que l’Adriatique soit libre, afin que tous les routiers de la mer, de quelque pavillon qu’ils se réclament, puissent la parcourir en toute tranquillité et en toute sécurité.

Les partisans de l’occupation de Valona invoquent l’opinion de M. Sazonow, qui, dans une interview accordée, en janvier dernier, au Corriere della Sera, se serait prononcé en faveur de l'Italie.

L’Adriatique — aurait-il dit (1) — doit être une mer italienne. Possédant

(1) Voir Le Temps, 10 janvier 1915 (Bulletin du jour : Les déclarations de M. Sazonow).