L'Autriche et la Hongrie de demain les différentes nationalités d'après les langues parlées : avec de nombreux tableaux statistiqes et 6 cartes ethniqes

— 71 — É seule capable d’assurer la paisible jouissance d’une possession basée sur des raisons valables.

Qu’arrivera-t-il lorsque les ambitions politiques se produiront et qu’elles seront, comme toujours, aveuglées par la passion, disposées à faire bon marché des données géographiques, économiques, ethniques, ete, et à pousser l’irrédentisme patriotique « au delà des limites du bien et du mal », suivant l’expression de Nietzsche? |

A l’heure actuelle, par suite de l'agitation provoquée par les associations Trente et Trieste et Dante Alighiert, l'opinion italienne est redevenue intransigeante pour la terre irrédente de Trieste. Elle la demande, elle la réclame, elle l’exige! Soit, qu’on la lui donne. Nous nous réjouirons avec elle, puisqu'elle la désire. Mais il y a des lendemains de victoire qui sont pleins de périls, et nous aimons trop notre sœur latine pour ne pas appeler son attention sur le revers de la médaille.

Supposons, par exemple, que les Slovènes fassent, d’ici dix ans, le même gain qu'ils ont réalisé dans les dix dernières années, la situation sera retournée : les Italiens seront en minorité et les Slovènes et autres Slaves exerceront contre l'Italie les intransigeances irrédentistes. Déjà, le Times annonce (28 avril 1915) qu’une « certaine agitation s’est manifestée dans les milieux slaves, notamment chez les Slovènes, à la suite de la publication des visées italiennes sur les territoires slaves ». Je sais bien que, l’autorité passant des mains de l'Autriche à celles de l’Italie, les persécutions exercées contre l’élément italien se changeront en mesure de protection. Mais cela ne changera ni la situation géographique, ni la situation économique et encore moins la situation ethnique. Les 120.000 Italiens continueront à être entourés, de tous les côtés, par 1.200.000 Slovènes, dont Trieste sera l’unique débouché sur l’Adriatique.

Il faudra donc toute la finesse italienne, toute l’habileté et la bonne volonté

triestines pour arriver à dominer une situation aussi vraiment difficile.

Je m'excuse d'envisager des situations aussi défavorables; mais je m’appuie sur l'opinion d’un homme d’État italien de premier ordre, qui connait, beaucoup mieux que moi, la situation véritable. Or, M. Sonnino, ministre actuel des Affaires étrangères, a écrit dans la Rassegna settimanale du 29 mai 1881 : «Avant tout, il faut mettre résolument à l’écart la question de l’Zéalia irredenta. La possession de Trieste, dans la situation actuelle de l’Empire austro-hongrois, est de la plus haute importance pour lui, et il lutterait à outrance plutôt que d’y renoncer. De plus, c’est le port le mieux situé pour tout le commerce germanique. Sa population est mixte, conune toute celle qui avoisine notre frontière orientale. Revendiquer Trieste comme un droit serait une exagération du principe ! des nationalités. »

Je suis du même avis que l’éminent ministre des Affaires étrangères d'Italie, M. Sonnino, et je pense qu’annexer Trieste, port isolé, en plein territoire slovène, serait une exagération du principe des nationalités. Les Austriacanti faisaient jadis bon marché des terres irrédentes, lorsqu'il s'agissait de s’assurer de bons rapports avec l’Autriche-Hongrie. La situation sera la même avec les Slovènes et les Serbo-Croates; l’Italie de 1915 devra également leur faire

ce petit sacrifice qui ne gênera en rien, du reste, sa situation commerciale, au contraire.