La caricature en Angleterre. 3, Caricatures politiques : George III, Fox, Pitt, la Révolution française et Napoléon

LA CARICATURE EN ANGLETERRE. 921

Bonaparte a été doué pour la perte de l'humanité. Tantôt, c’est un renard, tantôt c’est un tigre, et John Bull lui donne la chasse; c'est un ours, et John Bull lui apprend à danser. Tout à l’heure, nous l'avons vu dans la peau d’un singe. Il lui reste à revêtir des formes fantastiques créées par la superstition populaire ou l'imagination des poètes. Il devient une sorte de dragon qui vomit des flammes à la porte de l'Enfer; il est la Bête de l’Apocalypse, car, à force de tourmenter les lettres et les chiffres, un dévot érudit a découvert que le mystérieux nombre de la Bête est exactement traduit par le nom détesté de Napoléon. Il est J’Antechrist, il est le diable en personne. Et, après tant d'incarnations extraordinaires, le voilà tombé à n'être plus qu'un bonhomme de pain d'épices; enfin, il devient une chandelle et un cosaque l’éteint avec son bonnet.

À travers ses transformations, il conserve son maigre profil d'aventurier bilieux et affamé sous lequel la caricature l'avait d'abord montré aux Anglais, car il est à remarquer que, pour les artistes comiques, pour Gillray, du moins, le front de l’Empereur n’a jamais « brisé » le masque étroit du Premier Consul, de même que le petit chapeau d’Eylau ou de Wagram n'a jamais remplacé le bicorne emplumé du vainqueur d’Arcole. Du reste, l'ignorance des caricaturistes vient souvent au secours de leur mauvaise foi. Ils ne savent pas un mot de cette histoire contemporaine qu'ils racontent à leur façon. Les hommes, les lieux, les dates, ils confondent tout. Une défaite est une victoire; une victoire se change en défaite. Trois ans après l’abdication du roi Louis, Rowlandson le fait régner à la Haye. En revanche, Gillray avait chassé les Français d’Espagne longtemps avant Wellington. Mais que sont ces erreurs? Elles disparaissent dans un torrent de calomnies délirantes. Ni vérité, ni justice, ni bon sens; très peu d'esprit et de gaîté. L’honnète M. Grego, qui a écrit la biographie de Rowlandson et minutieusement analysé son œuvre, est pris lui-même de ce mal de cœur propre aux historiens de la politique et de l’art et qu'on pourrait appeler nausea mendacii. Il se demande si ces caricatures, par hasard, n'auraient pas dû leur vogue extraordinaire à un patriotisme surexcité jusqu'à la folie. En effet, le sentiment public encourageait Les artistes à tout oser, dépassait d'avance leurs inventions les plus audacieuses. J'aurais sous la main des exemples par centaines : je n’en citerai que deux. Je Les prends aux deux pôles de la société.