La caricature en Angleterre. 3, Caricatures politiques : George III, Fox, Pitt, la Révolution française et Napoléon

910 - REVUE DES DEUX MONDES.

un bouc émissaire, une victime à jeter en pâture à l'opinion. On lui abandonna Warren Hastings, le tyran de l’Inde, nouveau sujet, fécond en caricatures. Gillray y trouve l’occasion d'exercer Sa moquerie à deux tranchans, son souple et sceptique talent qui plaidait indifféremment le Pour et le Contre. Il nous montre d'abord l’ancien gouverneur général dans la personne d’un honnête négociant oriental monté sur un chameau et assailli par trois bandits. Ces bandits, on l’a deviné, sont Fox, Burke et Sheridan, les trois Managers de l'Impeachment. Puis, changeant à la fois de manière et de point de vue, la caricature, de grotesque, se fait tragique, presque sinistre. Porté sur le dos du chancelier Thurlow, Hastings traverse une mer de sang sur laquelle flottent les débris de ses victimes. Peut-être un seul nom, celui de la « Mer-Rouge, » (les connaissances de Gillray en matière géogra- : phique devaient être un peu troubles!) at-il suffi pour inspirer à l'artiste cette effrayante image. Le peuple était persuadé que Warren Hastings rapportait dans ses poches assez de diamans pour acheter le parlement, les ministres, le roi lui-même, et le caricaturiste traduisit à sa façon la pensée populaire. George III dut se reconnaître dans un phénomène de foire qui avale des pierres « avec la plus grande avidité. » Pierres précieuses, évidemment, puisque c’est le chef des pillards du Bengale qui les lui présentait.

Pendant que les Cicérons du Whiggisme dépensaient leur éloquence contre le Verrès moderne, Pitt affermissait son pouvoir. Une crise que nul n'avait prévue et ne pouvait prévoir vint, tout à coup, en 1788, mettre à l'épreuve tout ensemble son autorité personnelle et son courage. Le roi devint fou et rien n’annonçait qu'il dût jamais recouvrer la raison. Que faire ? Tout autre que Pitt, sentant le terrain manquer sous ses pieds, aurait abandonné la partie, laissé le Pouvoir passer aux mains du prince de Galles et de ses amis. Il osa lutter et c’est dans cette heure critique qu'on peut prendre la mesure de cet indomptable caractère. Le duel de Pitt et de Fox offrit cette particularité inattendue que les deux grands adversaires échangèrent subitement leurs armes. L'orateur libéral, champion juré de la souveraineté populaire, s'était converti comme par enchantement au principe de la prérogative royale, tandis que le ministre, défenseur attitré de cette même prérogative, prenait pour base d’opérations l’omnipotence parlementaire, « Le prince de Galles,