La correspondance de Marat

LA CORRESPONDANCE DE MARAT 13

logement où vous m'avez visité la dernière fois; mais mon appartement est aujourd'hui plus commode, car j'y ai réuni deux autres grandes pièces que j'ai l’intention de destiner uniquement à la dissection. Soyez bien sûr d’une chose, mon ami, c’est qu'on ne peut acquérir de l’habileté ou du renom dans cet art (la médecine et la chirurgie), qu'en faisant sur le vif des expériences nombreuses et journalières. Pour moi, je suis à même de me procurer des corps morts provenant des hôpitaux en telle quantité qu'il me plaît, et à très bon compte; et afin de ne pas dépenser trop d’argent en animaux vivants, j'ai fait un arrangement avec un boucher du quartier, qni me fournit des brebis, des veaux, des cochons, et même des bœufs, si j’en ai besoin. Comme il reprend le tout, je paie suivant le dégât que sa viande a souffert. J’ai bien peur que vous ne puissiez pas vous arranger aussi commodément dans votre ville. Paris me fournit sans doute de grandes facilités pour mes études, et je vous conseille et vous invite à venir ici. Vos précieux talents me seront d’un secours immense dans l’ouvrage que j'ai commencé et que je compte publier l’an prochain. Vous dites que vous n’aimez pas à voir d’innocents animaux déchirés par le scalpel; mon cœur est anssi tendre que le vôtre, et je n'aime pas plus que vous à voir souffrir de pauvres créatures; mais il serait impossible de comprendre les secrètes, étonnantes et inexplicables merveilles du corps humain, si l’on n’essayait pas de saisir la nature dans son œuvre, et ce but ne saurait être atteint sans faire un peu de mal pour beaucoup de bien: c’est seulement ainsi qu'on peut devenir le bienfaiteur de l'humanité. L’observation des muscles et des différentes propriétés du sang mont mis à mème de faire d'importantes découvertes, auxquelles je ne serais jamais parvenu sans couper la tête et les membres à une multitude d'animaux. J'avoue qu’au commencement j'éprouvais de la peine et de la répugnance ; mals Je MY SuIS accoutumé peu à peu, et je me console

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