"La Guzla" de Prosper Mérimée : étude d'histoire romantique (оштећен примерак)
LA BALLADE POPULAIRE AVANT « LA GUZLA ».
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Les Servions, disait-il, ont une foule de chansons nationales qui n’avaient jamais été recueillies, et dont un grand nombre n’avait peutêtre jamais été mis par écrit, lorsque le savant servien Wuk eut l’heureuse idée d’en faire un recueil qu’il a porté en Allemagne et qui y a été publié. C’est une nouveauté intéressante qui nous fait connaître la poésie d’un peuple dont la littérature, à la vérité peu riche, existait à l’insu de l’Europe. La première partie du recueil contient des centaines de petites pièces de vers, que l’auteur appelle chansons féminines, parce que les femmes en composent et chantent beaucoup dans leur ménage. Ces pièces sont faites sans art, la plupart en vers blancs, et peut-être improvisées ; elles sont généralement médiocres sous le rapport de la poésie. Il y en a sur toutes sortes de sujets, sur l’amour, sur la moisson, sur les fêtes du pays ; on y trouve même des chansons magiques pour obtenir de la pluie, que chantent les jeunes filles en parcourant les villages. Par-ci, par-là, on trouve des pensées d’un naturel agréable ou des comparaisons originales ou singulières. Les deux autres parties contiennent les chansons héroïques qui abondent chez ce peuple belliqueux. Ce sont des vers monotones, où les mêmes épithètes et les mêmes formules reviennent sans cesse. Quelquefois les aventures qu’elles chantent ont de l’intérêt. Le héros favori des Servions, Marko, fils d’un roi, y joue un grand rôle. Les batailles y sont peintes avec une sorte de prédilection, surtout celle de 1389 qui ôta l’indépendance à la Servie *. Le même Bulletin des sciences historiques, que recevaient certainement Fauriel et Ampère, tous deux amis de Mérimée, publia encore, l’année suivante, deux notices sur la poésie serbe. Dans la première 2, extraite du journal russe Syn otétchestva\ on reprochait à Vouk d’avoir « cru bien faire d’introduire de nouvelles lettres ainsi qu’une orthographe tout à fait barbare chez les Slaves ». Dans la seconde 4 , on parlait des Volkslieder der Serben, disant que « la littérature allemande fait une très bonne acquisition dans cet ouvrage ».
1 Bulletin des sciences historiques, 1825, t. IV, p. 17. 2 1826, t. V, p. 26. 3 1824, n° 26, p. 241. 4 1826, t. VI, p. 107. Le Bulletin des sciences historiques s’occupa de la littérature serbe aussi en 1827, t. VII, pp. 121-130, et en 1828, t. IX, pp. 228-229, et t. X, pp. 149-150. Nous parlerons ailleurs de l’accueil amusant qu’il fit à la Guzla de Mérimée.